Lasolution à ce puzzle est constituéÚ de 9 lettres et commence par la lettre C. CodyCross Solution pour IL AURAIT PRONONCà SON FAMEUX MOT à WATERLOO de mots fléchés et mots croisés. Découvrez les bonnes réponses, synonymes et autres types d'aide pour résoudre chaque puzzle
y r?im j BPĂč/$*/ *2 I/o C't'V ^ Ăź/l> - j. fc*A Jh t \j o^i -* ~n ^ ĂŻ v ? 6-M. Ă*N Ml vj j v '* . LE RHIN ET LES PROVINCES RHĂNANES. IMPRIMERIE DE BAILLY, Place Sorbonne, OeA OV p i J u * r '* LE RHIN LES PROVINCES RHENANES; ADOLPHE POIGNANT. PARIS. SAGNIEIĂ ET BRAY, LIBRAIRES-ĂDITEURS, RUE DES SAINTS-PĂRES, G4. 1845 AVANT-PROPOS. Ce livre nâest que le journal dâun voyage fait en 1844 dans la Prusse-RhĂ©nane, sur le Rhin et dans la Suisse. Depuis eette Ă©poque, bien des Ă©vĂ©nements ont agitĂ© la patrie de Guillaume Tell ; la Suisse aujourdâhui a le triste privilĂšge de fixer lâattention de lâEurope par le spectacle de ses divisions intestines. Le genre dâintĂ©rĂȘt qui sâattache Ă de pareils tableaux manquera Ă nos souvenirs, recueillis dans un temps oĂč le pays jouissait encore des bienfaits de la paix intĂ©rieure. vr Nous nâavons pas Ă©tĂ© toutefois sans dĂ©mĂȘler dans lâĂ©tat des esprits les avant-coureurs dâune rupture que nous Ă©tions, il faut lâavouer, loin de croire aussi prochaine. Nous nâavons rapportĂ© que ce que nous avons vu et entendu 5 et si ce respect pour la vĂ©ritĂ© a nui Ă lâintĂ©rĂȘt de notre narration, en Ă©cartant des pages de ce livre les dĂ©tails que lâimagination de tant de voyageurs ajoute si complaisamment au tĂ©moignage de leurs yeux , nous aurons au moins le mĂ©rite dâĂȘtre sincĂšre. Quant Ă la mĂ©thode choisie pour cet ouvrage , elle est simple et facile suivre dans le rĂ©cit le cours mĂȘme du voyage, en retracer les incidents, rappeler nos observations, Ă mesure que lâoccasion les a fait naĂźtre , telle est la marche que nous avons constamment adoptĂ©e. Plusieurs de nos amis nous ont reprochĂ© la sĂ©vĂ©ritĂ© de notre jugement sur certains peuples, et la partialitĂ© avec laquelle nous avons parlĂ© des Allemands. Nous aimons les Allemands. Leur caractĂšre et leurs habitudes nous plaisent, et nous voudrions VII voir une alliance plus Ă©troite entre les deux nations. Nous croyons fermement cpie leurs intĂ©rĂȘts les convient Ă ce rapprochement. Les Français, et les Allemands, en effet, peuples Ă©minemment agriculteurs , ne sont pas poussĂ©s incessamment par cet esprit de convoitise, dâaviditĂ© et dâusurpation qui existe Ă un si haut degrĂ© chez les nations essentiellement commerçantes , telles jue lâAngleterre et les Etats-Unis. Il leur est donc facile de sâentendre. Au point de vue politique, les royaumes de lâautre cĂŽtĂ© du Rhin nous ont paru fatiguĂ©s de lâespĂšce de protectorat que la Russie, depuis trente ans, sâest arrogĂ©e sur eux. A mesure que lâAllemagne sâĂ©loigne de lâĂ©poque des guerres envahissantes de lâEmpire , elle semble voir en nous les dĂ©fenseurs des grands principes de libertĂ©, tandis que le Czar lui apparaĂźt comme une menace pour la civilisation, et pour son indĂ©pendance personnelle. Telles ont Ă©tĂ© nos prĂ©occupations lorsque nous avons eu Ă nous former une opinion sur le caractĂšre national des Allemands. VIII Nous nous sommes Ă©tonnĂ©s du petit nombre de Français que nous avons rencontrĂ©s dans les provinces RhĂ©nanes et en Suisse. Presque tous les voyageurs Ă©taient Anglais. Cela peut sâinterprĂ©ter de deux maniĂšres ou par lâindiffĂ©rence des Français pour le plaisir de voyager ; ou par le bien-ĂȘtre quâils Ă©prouvent dans leur patrie, et qui leur fait nĂ©gliger de le chercher ailleurs. Nous adoptons cette derniĂšre supposition. PREMIĂRE PARTIE. VOYAGE DE PARIS A COLOGNE. CHAPITRE I. DĂ©part de Paris pour Bruxelles. â ArrivĂ©e Ă Bruxelles. Vous mâavez fait promettre, Madame, quand nous sommes partis, de tenir un journal de notre voyage. Puisque je ne puis vous accompa- gner, mâavez-vous dit, vous me devez une description si exacte des lieux que vous par- courrez, que je puisse me figurer les avoir vus avec vous. Vous me laissez votre itinĂ©raire; et il me sera facile ainsi, en calculant les jours et les distances , de vous suivre sur la route. » Je me souviens parfaitement de cette promesse et je la remplirai. Je dirai fĂȘtais lĂ ; telle chose ni avilit vous y croirez ĂȘtre vous-mĂȘme. Seulement jâai reconnu lâimpossibilitĂ© dâĂȘtre fidĂšle Ă lâitinĂ©raire que je vous ai laissĂ©. Ainsi, par exemple Nous sommes Ă Bruxelles depuis deux jours. Je vois dâici votre Ă©tonnement; jâentends vos exclamations Ă Bruxelles ! mais quelle folie ! Ce nâest pas le chemin de la Suisse. En quittant Paris vous deviez vous diriger en droite ligne sur Strasbourg. Je vous dois lâexplication de ce changement de direction. Vous savez quâavant de partir nous apprĂ©hendions surtout, pendant le voyage que nous allions entreprendre, lâextrĂȘme chaleur et la poussiĂšre. ArrivĂ©s Ă Paris, le 3 juillet 1844, nous fĂ»mes loin dâĂȘtre rassurĂ©s sur les inconvĂ©nients que nous avions redoutĂ©s. Nous partions pour faire un voyage dâagrĂ©ment, et le thermomĂštre 5 Ă©tait Ă 26 degrĂ©s au-dessus de zĂ©ro, et nous avions 120 lieues Ă faire par la poste. Je ne voyais certes pas lĂ une difficultĂ© insurmontable; mais câĂ©tait nous exposer, dĂšs le dĂ©but du voyage, Ă des fatigues quâil Ă©tait prudent dâĂ©viter. Nous restĂąmes plusieurs jours Ă Paris, indĂ©cis sur ce que nous devions faire. Enfin nous nous avisĂąmes de consulter la carte des chemins de fer. Nous vĂźmes que de Valenciennes Ă Cologne on avait Ă©tabli une ligne de chemins de fer ; nous sĂ»mes que, dans cette derniĂšre ville , des bateaux Ă vapeur sâemparaient des voyageurs, et leur faisaient remonter, doucement et sans fatigue, le Rhin jusquâĂ Strasbourg. Ce fut un trait de lumiĂšre. DĂšs lors la difficultĂ© sĂ©rieuse de notre voyage se trouvait rĂ©duite Ă de minimes proportions, puisquâelle se bornait Ă aller de Paris Ă Valenciennes dans une nuit ; et une nuit est bientĂŽt passĂ©e. Je dois vous dire aussi que nous avions pris le parti de voyager en vĂ©ritables touristes , sans notre voiture, qui eĂ»t Ă©tĂ© un embarras de chaque jour dans les montagnes, et avec des bagages rĂ©duits au strict nĂ©cessaire. 6 Nous voilĂ donc nous dirigeant sur Valenciennes pour aller en Suisse. Je sais quâil est impossible de montrer plus de dĂ©dain que nous ne lâavons fait dans celte circonstance pour la ligne droite; mais rien ne nous pressait. Nous nâavions pas la prĂ©tention de tracer un nouvel itinĂ©raire de Paris en Suisse ; et la Belgique mĂ©ritait bien quâon fĂźt un dĂ©tour de deux cents lieues pour lui rendre visite en passant. A Valenciennes nous trouvĂąmes le chemin de fer, qui nous conduisit Ă Bruxelles en quatre heures et demie. En arrivant dans cette ville, un Belge, que nous avions pris Ă Valenciennes, nous dit que, parti la veille de Bruxelles pour Paris , il avait sĂ©journĂ© six heures dans cette derniĂšre ville, et Ă©tait de retour dans la capitale de la Belgique, le tout en trente-huit heures. Que deviendront les distances, quand les capitales de lâEurope seront reliĂ©es lâune Ă lâautre par des chemins de fer? Nous descendĂźmes Ă Bruxelles, rue des Fripiers, Ă lâhĂŽtel des Etrangers. Bruxelles! rendez- vous des opulences voyageuses et des infortunes que les jeux de bourse exilent de leur patrie ! 7 foyer de contrefaçons de tout ce que la presse publie dâintĂ©ressant dans les diverses langues europĂ©ennes ! Câest peut-ĂȘtre dâaprĂšs ce systĂšme de contrefaçon que les Belges appliquent Ă toutes choses, quâen 1830 ils ont fait leur rĂ©volution, imitĂ©e de la nĂŽtre. CHAPITRE II. Bruxelles, ses Monument*!, ses Promenades. â Entretien sur les Affaires publiques. Je nâavais pas vu Bruxelles depuis dix ans, et je fus Ă©tonnĂ© des nombreuses amĂ©liorations qui sây Ă©taient opĂ©rĂ©es en aussi peu de temps. Câest aujourdâhui un second Paris, mais vu dans des proportions moins grandes. Ce sont bien lĂ les rues animĂ©es des beaux quartiers de Paris, ses fontaines, ses places publiques, ses boulevards, ses riches magasins, et cette foule de voitures et de piĂ©tons qui sillonnent la ville dans tous les sens, et ne sâarrĂȘtent que bien avant dans la nuit. Les habitudes de la vie, la maniĂšre dâĂȘtre, le langage mĂȘme nous rappelaient Ă©galement notre belle capitale. A notre hĂŽtel et Ă la table dâhĂŽte, nous nâentendions parler que français ; le service Ă©tait fait avec cette propretĂ© et cette vivacitĂ© intelligente quâon ne trouve guĂšre que dans les bons hĂŽtels de Paris. Disons encore, pour complĂ©ter le tableau, que sous certains rapports Bruxelles nous paraissait lâemporter sur Paris. Il Ă©tait plus aĂ©rĂ©, ses maisons Ă©taient plus ornĂ©es , plus soignĂ©es , ses rues mieux nettoyĂ©es ; lâintĂ©rieur des hĂŽtels nous semblait aussi meublĂ© avec plus de richesse et de bon goĂ»t. Quant aux monuments publics, ils ne peuvent soutenir la comparaison avec ceux de Paris. Je crois cependant que nous avons visitĂ© les plus remarquables , et vous verrez que la liste nâen est pas trĂšs-longue. Je placerai en premiĂšre ligne lâĂ©glise Sainte- 10 Gudule. Cette Ă©glise est bĂątie sur une Ă©minence dite Molenherg. Elle a Ă©tĂ© fondĂ©e par Lambert Baudouin, comte de Louvain, vers la fin du dixiĂšme siĂšcle. En 12T3, elle fut reconstruite telle quâelle existe encore, Ă lâexception dâune tour dĂ©molie en 1518, et remplacĂ©e par les deux tours quâon voit Ă prĂ©sent. Elle appartient au style gothique; imposante par son aspect, elle domine fiĂšrement la ville, moins peut-ĂȘtre Ă cause de la hauteur de lâĂ©difice, que grĂące Ă lâĂ©minence sur laquelle il est bĂąti. Mais pourquoi avoir choisi la colline de Mo- lenberg, dont les abords sont difficiles et escarpĂ©s, comme emplacement de la cathĂ©drale de la ville? VoilĂ ce quâil mâest impossible de deviner, Ă moins de penser que dans les temps orageux de la fĂ©odalitĂ©, on ne pouvait garantir, mĂȘme les Ă©glises, contre la rapacitĂ© des gens de guerre, quâen les plaçant dans des lieux Ă©levĂ©s, et par cela mĂȘme susceptibles de dĂ©fense. Nous avons remarquĂ© au milieu du chĆur un trĂšs-beau mausolĂ©e en marbre noir, qui renferme les cendres du duc Jean II de Brabant, mort en 1312, de sa femme dĂ©cĂ©dĂ©e en 1318, et du duc Philippe de Brabant, mort en 1430. La place du MarchĂ©, dont lâHĂŽtel-de-Ville oc- ĂŻ cupe un des cĂŽtĂ©s, est Ă mon grĂ© la place la plus remarquable de Bruxelles. Elle est bien loin, sans doute, dâavoir lâĂ©clat et la fraĂźcheur des places Royale, du Parc et de la Monnaie; mais I elle a un caractĂšre dâantiquitĂ© et de moyen Ăąge que je nâai point trouvĂ© ailleurs. DĂšs quâon y est entrĂ© on peut se croire transportĂ© au quinziĂšme ji siĂšcle. LâHĂŽtel-de-Ville, bĂąti dans le style go- jf thique pur, avec sa façade de vingt-deux croi- sĂ©es, occupe toute la longueur du marchĂ© ; sa » construction, commencĂ©e en 1401 et terminĂ©e en 1442, est remarquable par son Ă©lĂ©gance et sa t lĂ©gĂšretĂ©. LâhĂŽtel est surmontĂ© dâune tour qui a trois cent cinquante-quatre pieds dâĂ©lĂ©vation, et f sur le sommet de laquelle on a placĂ© une statue Ă de lâarchange Saint-Michel, haute de 17 pieds. En face de lâHĂŽtel-de-Ville est le bĂątiment dit Broodhuys, oĂč dâEgmont et de Horn passĂšrent ĂŻ les derniĂšres heures de leur vie, avant de mon- ÂŁ ter Ă lâĂ©chafaud, et qui porte Ă©galement le type t du quinziĂšme siĂšcle. ! Les autres cĂŽtĂ©s de la place sont occupĂ©s par des maisons dâun style trĂšs-ancien, et qui Ă©taient Ăź spĂ©cialement affectĂ©es Ă certaines corporations, 12 telles que celles des brasseurs, des gens de mer, des drapiers, etc. ; chacune de ces maisons porte des ornements sculptĂ©s qui rappellent la corporation Ă laquelle la maison appartenait ; ainsi, par exemple, la maison qui Ă©tait affectĂ©e Ă la corporation des gens de mer est encore ornĂ©e aujourdâhui dâancres, de poupes de navires et dâautres attributs de la navigation. Jâengage fort le gouvernement belge Ă maintenir, le plus longtemps quâil le pourra, ces curieuses constructions qui rattachent le passĂ© au prĂ©sent. De la place du MarchĂ© nous sommes allĂ©s au Parc, jardin public trĂšs-beau et trĂšs-agrĂ©able, avec un bois, des piĂšces dâeau et des arbres magnifiques. Les Bruxellois montrent avec complaisance ceux de ces arbres qui portent encore la trace des boulets que leur envoya le prince FrĂ©dĂ©ric en 1830. Dans le voisinage de cette belle promenade se trouvent le palais du Roi, celui du prince dâO- range, le palais du ci-devant SĂ©nat de Brabant, oĂč se tiennent les sĂ©ances des chambres, et une foule de riches hĂŽtels, qui donnent Ă cette partie de la ville un air de grandeur tout Ă fait remarquable. 15 Nous nâavons pu pĂ©nĂ©trer dans le palais du Roi; mais, Ă en juger par son extĂ©rieur simple et modeste, il nous a paru plutĂŽt la demeure dâun riche particulier que la rĂ©sidence dâun souverain. En voyant le palais si Ă©lĂ©gant, si riant, que le prince dâOrange avait fait construire dans la plus agrĂ©able position de Bruxelles, et oĂč il avait rĂ©uni Ă grands frais, peu de temps avant \ 830, tout ce qui peut servir aux plaisirs de la vie, je nâai pu mâempĂȘcher de mâĂ©crier avec Virgile Sic vos non vobis. Nous avons visitĂ© avec plaisir dans ce palais une exposition publique dâobjets donnĂ©s pour les pauvres, et destinĂ©s Ă ĂȘtre vendus Ă leur profit. Toutes les personnes riches de Bruxelles se font un devoir dâapporter leur tribut Ă cette bonne oeuvre. Nous avons remarquĂ© plusieurs tableaux de prix, des meubles et jusquâĂ des voitures et des harnais dâune grande richesse ; je nâai vu quâune seule chose Ă critiquer, câest lâinscription du nom du donateur sur chaque objet donnĂ©. Ainsi la vanitĂ© trouve Ă se faire jour mĂȘme dans des actes de bienfaisance. Est-ce lĂ pratiquer ce prĂ©cepte dâune sublime morale la U main gauche doit ignorer le bien que fait la main droite. Le palais du duc dâAremberg est la demeure dâun simple particulier ; mais combien de souverains dâAllemagne seraient heureux dâĂ©tre aussi somptueusement logĂ©s, et de possĂ©der les richesses quâil renferme! Nulle part je nâai vu une aussi complĂšte et aussi riche collection de meubles et dâobjets curieux du moyen Ăąge. La galerie de tableaux est une des plus riches de lâEurope. Les Wouwermans, les Teniers, les Van Os- tade, etc., ont contribuĂ© Ă la former. Notre intĂ©rĂȘt nâa pas Ă©tĂ© mĂ©diocrement excitĂ© par la visite dâun hĂŽpital construit depuis quelques annĂ©es, et qui peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un Ă©tablissement modĂšle en ce genre. Il est divisĂ© en plusieurs corps de bĂątiments qui sont affectĂ©s chacun Ă un genre de maladie. On sent facilement tout le bien qui doit en rĂ©sulter pour la salubritĂ© et la prompte guĂ©rison des malades. Tous les secours que peuvent fournir la mĂ©decine et la chirurgie sont distribuĂ©s avec tant dâintelligence et de dĂ©vouement dans ce magnifique Ă©tablissement, que beaucoup dâĂ©trangers et de personnes riches de la ville, atteints de ma- 15 ladies dangereuses , sây font transporter pour suivre un traitement et recevoir des soins quâils ne pourraient se procurer chez eux, mĂȘme Ă prix dâor. Des chambres particuliĂšres leur sont rĂ©servĂ©es dans lâĂ©tablissement. AprĂšs avoir si bien rempli notre journĂ©e, nous passĂąmes la soirĂ©e avec quelques membres de la chambre des DĂ©putĂ©s et du SĂ©nat. On parla des affaires publiques, des rapports de la Belgique avec la France. Jâentendis retentir des plaintes contre la France on lâaccusait de multiplier autour dâelle les barriĂšres et les prohibitions , tandis que la Prusse et les petits Ătats de lâAllemagne ouvraient leurs villes aux produits industriels de la Belgique. Jâai Ă©voquĂ© le souvenir dâAnvers câest dĂ©jĂ loin de la mĂ©moire des Belges; jâai supposĂ© le cas oĂč ils seraient de nouveau attaquĂ©s par les Hollandais. Savez-vous ce quâon mâa rĂ©pondu? Bah! les Hollandais! Que feraient-ils devant lâarmĂ©e Belge? Il me semble cependant, si jâai bonne mĂ©moire , que la derniĂšre fois que cette invincible armĂ©e a paru en rase campagne, en 1830 et 1831, elle faisait assez triste figure devant les troupes nĂ©erlandaises commandĂ©es par le prince dâOrange, et quâil Ă©tait grand 16 temps que le marĂ©chal GĂ©rard arrivĂąt Ă son secours. Jâai Ă©tĂ© blessĂ© du ton dâassurance de ces messieurs. Ce qui mâa paru, au reste, parfaitement clair, câest quâils avaient entiĂšrement oubliĂ© les obligations quâils ont Ă la France, et que jâaurais eu grandement lien de mâĂ©crier comme Joad Peuple ingrat ! MalgrĂ© cette contrariĂ©tĂ©, le sĂ©jour de Bruxelles nous plaĂźt beaucoup. Nous aurons quelque peine Ă le quitter. CHAPITRE III. Itou te de Bruxelles Ă LiĂšge. â IdĂ©e gĂ©nĂ©rale de LiĂšge. â ĂȘtes monuments. â Ses environs. Le 14 juillet nous sommes partis pour LiĂšge par le chemin de fer. Les campagnes sont admirables de fertilitĂ©, mais le sol est plus accidente que sur la route de Valenciennes Bruxelles , et nous sommes obligĂ©s de passer sous plusieurs tunnels. 18 Plus loin, la vue rencontre de riches usines ou de charmantes maisons de campagne. Le chemin de fer, qui ne respecte rien, traverse plusieurs parcs oĂč lâon a dĂ» le laisser se frayer un passage. A quelques lieues de Bruxelles nous recueillĂźmes , Ă une des nombreuses stations , deux voyageurs et une dame qui prirent place Ă cĂŽtĂ© de nous. CâĂ©taient des personnes de bonne mine, mais dâun certain Ăąge. La connaissance va vite en chemin de fer. Jâappris bientĂŽt de lâun de ces voyageurs que la dame Ă©tait sa femme et que lâautre voyageur Ă©tait son beau-frĂšre. Mon interlocuteur Ă©tait doux , bienveillant, communicatif, et notre conversation ne tarit pas un seul instant. Entre autres choses, il me demanda quel Ăąge je donnais Ă son beau-frĂšre et Ă lui. Je rĂ©pondis sans aucune hĂ©sitation Vous avez soixante ans et votre beau- frĂšre est ĂągĂ© de soixante-cinq ans. Il sourit, et mâapprit, Ă mon grand Ă©tonnement, que son beau-frĂšre avait quatre-vingts ans passĂ©s, et que lui-mĂȘme Ă©tait ĂągĂ© de soixante-seize ans. Lâun et lâautre nâavaient aucune infirmitĂ©, Ă©taient grands et forts, et prĂ©sentaient le plus heureux type de ces bonnes figures flamandes, pleines de douceur, 19 de quiĂ©tude, qui indiquent une vie passĂ©e Ă la campagne, dans le manoir paternel, loin des orages et des soucis de la vie. Cependant le plus jeune, en me parlant de ses aventures de chasse, oĂč il avait rossĂ© quelques gardes champĂȘtres, me disait Câest que jâai les cheveux prĂšs de la tĂȘte. Son frĂšre, qui nous Ă©coutait en souriant, lui dit dâun ton de bontĂ© paternelle Philippe, vous avez toujours eu une mauvaise tĂȘte. Et lâĂ©tourdi de soixante-seize ans trouva sans doute le reproche fondĂ©, car il baissa la tĂȘte et reçut la mercuriale avec la docilitĂ© dâun enfant. Je ne puis vous exprimer tout le charme de cette scĂšne de patriarche. CâĂ©tait un chapitre de la Bible que jâavais en ce moment sous les yeux. Ils nous quittĂšrent Ă Chaud-Fontaine, dans la vallĂ©e de la Yesdre, oĂč ils allaient prendre les eaux, beaucoup moins par nĂ©cessitĂ© que comme partie de plaisir. AprĂšs leur dĂ©part, je ne pus mâempĂȘcher de faire la comparaison de ces deux robustes santĂ©s avec celles que nous usons si vite dans les villes, au milieu du tumulte des plaisirs et des affaires. Je trouvai que la balance nâĂ©tait pas en faveur des habitants des villes ; mais il 20 faut que chacun de nous accomplisse sa destinĂ©e. BientĂŽt nous nous trouvĂąmes sur la cĂŽte escarpĂ©e qui domine la vallĂ©e au fond de laquelle on aperçoit la ville de LiĂšge sur les bords de la Meuse, Ă une profondeur de plusieurs centaines de mĂštres. Il y avait tout Ă la fois difficultĂ© et danger Ă faire descendre les voyageurs Ă LiĂšge par le chemin de fer, puisque, du point oĂč nous Ă©tions jusquâĂ LiĂšge, la pente est trĂšs-rapide et prĂ©sente une inclinaison dix fois plus forte quâon ne lâadmet pour les chemins de fer. On y est parvenu nĂ©anmoins, et la difficultĂ© a Ă©tĂ© rĂ©solue dâune maniĂšre aussi neuve quâaudacieuse. Les wagons se trouvent lancĂ©s par leur propre poids sur la pente, et leur vitesse est modĂ©rĂ©e par une corde en fil de fer. Cette corde est mise en mouvement par plusieurs machines Ă vapeur, et sert Ă©galement de remorqueur pour remonter le convoi de LiĂšge au haut de la montagne. Un danger Ă©tait Ă prĂ©voir dans le cas oĂč la corde viendrait Ă casser ; mais alors, par un mĂ©canisme ingĂ©nieux, les roues se trouvent enrayĂ©es Ă lâinstant mĂȘme, et le convoi est forcĂ© de sâarrĂȘter. 21 Nous nâeĂ»mes pas occasion de faire lâessai de cette derniĂšre combinais on, car le convoi nous descendit Ă LiĂšge sans aucun accident. LiĂšge , au premier aspect, ne frappe point par sa magnificence ni sa rĂ©gularitĂ©. Câest un amas assez confus de monuments et de maisons dont un grand nombre se cache entre des jardins agrĂ©ables. La ville descend jusque sur les bords de la Meuse. Il est facile de voir que les premiĂšres constructions ont eu lieu prĂšs de cette riviĂšre ; mais Ă mesure que la population a augmentĂ©, les habitations ont garni les hauteurs qui dominaient la ville; ainsi, aujourdâhui, on pourrait distinguer deux villes dans LiĂšge la ville haute et la ville basse. Dans plusieurs quartiers les rues sont Ă©troites et irrĂ©guliĂšres ; mais Ă LiĂšge, comme dans presque toutes les villes de la Belgique que nous avons traversĂ©es, on bĂątit Ă force, on perce des rues , on comble les fossĂ©s des villes pour en faire des boulevards, de telle sorte que, si la paix dure encore trente ans, toutes les vieilles constructions auront disparu, et on ne distinguera plus une ville française dâune ville belge , hollandaise ou prussienne. 22 Il y a cependant Ă LiĂšge plusieurs monuments qui maintiendront encore longtemps le type national , et qui sont dignes de remarque. En premier lieu il faut placer le palais du prince Ă©vĂȘque de LiĂšge, quâun incendie avait dĂ©truit en 1 503 et qui a Ă©tĂ© reconstruit en 1508 par lâĂ©vĂȘque Erhard de La Marck. Ce palais sert aujourdâhui de palais de justice. Il a une belle façade sur une des places de la ville. Sa principale entrĂ©e est dĂ©corĂ©e par des colonnes dâun effet majestueux. Elle donne accĂšs dans une grande cour carrĂ©e, ressemblant assez Ă un cloĂźtre, autour de laquelle rĂšgne une large galerie soutenue par des colonnes dâordre composite dâune pierre trĂšs-dure et presque noire. Ces colonnes sont assez grossiĂšrement taillĂ©es, et paraissent dâune si haute antiquitĂ©, que tout porte Ă croire quâelles existaient dĂ©jĂ dans le palais brĂ»lĂ© en 1503 et quâelles lui ont survĂ©cu. On nous avait fait lâĂ©loge de la cathĂ©drale ou Ă©glise Saint-Paul. Sans doute cette Ă©glise est dâun assez beau style gothique, mais ellenâapas rĂ©pondu Ă lâidĂ©e que je mâen Ă©tais formĂ©e. Elle est infĂ©rieure , selon moi, pour le style et les dĂ©corations dâintĂ©rieur, Ă une ancienne Ă©glise quâon va rendre 23 au culte lâĂ©glise Saint-Jacques. Le style dâarchitecture de cette derniĂšre Ă©glise, le fini de ses ornements gothiques sont tout Ă fait remarquables. Je me plais surtout Ă citer de beaux vitraux peints, et un double escalier en spirale, placĂ© dans le cĂŽtĂ© droit du chĆur, pour conduire aux tribunes supĂ©rieures. Cet escalier est un chef- dâĆuvre dâĂ©lĂ©gance et de lĂ©gĂšretĂ©, et paraĂźt avoir Ă©tĂ© fait dans le quinziĂšme siĂšcle. Nous avions si peu de temps Ă consacrer Ă LiĂšge, que nous nâavons pu voir aucune de ses nombreuses manufactures. Jâai regrettĂ© surtout de nâavoir pas visitĂ© les hauts fourneaux et les forges de M. Cokerill Ă Seraing, ci-devant chĂąteau de rĂ©sidence du prince Ă©vĂȘque de LiĂšge. Au reste, il est impossible, en arrivant Ă LiĂšge, de ne pas reconnaĂźtre sur-le-champ quâon est dans une ville manufacturiĂšre, car lâair quâon y respire est imprĂ©gnĂ© dâune forte odeur de charbon de terre, et les maisons et les rues sont couvertes dâune poussiĂšre noire dont lâair mĂȘme est quelquefois Ă©paissi. Lâhistoire nous reprĂ©sente les anciens LiĂ©geois comme Ă©tant dâun caractĂšre belliqueux, mais fort turbulent. Le commerce les avait enrichis, ce qui 24 ajoutait encore Ă leur esprit dâindĂ©pendance, et ils nâobĂ©issaient que difficilement Ă leur souverain , le prince Ă©vĂȘque de LiĂšge. Aussi, au quinziĂšme siĂšcle surtout, la ville de LiĂšge Ă©tait troublĂ©e par des querelles et des dĂ©sordres continuels auxquels donnaient presque toujours lieu lâĂ©lection des princes Ă©vĂȘques et leurs relations avec la ville. Il en rĂ©sulta pour LiĂšge de grands malheurs, puisque ces dĂ©sordres excitĂšrent contre les LiĂ©geois le roi de France Louis XI et Charles-le-TĂ©- mĂ©raire, qui emportĂšrent la ville dâassaut le 30 octobre 1468, et la brĂ»lĂšrent entiĂšrement. Ce dĂ©sastre a fourni Ă Walter Scott un des Ă©pisodes les plus intĂ©ressants de son cĂ©lĂšbre roman Quentin Durward. Les environs de LiĂšge sont charmants. Nous avons pu nous en faire une idĂ©e du haut dâune terrasse qui domine la ville et ses environs , et dâoĂč lâon peut suivre pendant plusieurs lieues le cours de la Meuse. Câest de cette terrasse que nous avons aperçu le beau jardin appartenant au comte de Mercy Argenteau, et dans lequel se trouve un pont chinois qui joint deux roches dâune Ă©lĂ©vation de cinquante mĂštres. CHAPITRE IV. Route de LiĂšge Ă Aix-la-Chapelle. â VerĂŻlers. â Rencontre dâun Prussien. â Entretien avec lui. â Sympathie des peuples dâAllemagne pour la France. â Zollverein. â Projet dâalliance. Nous voilĂ sur le chemin de fer qui conduit de LiĂšge Ă Aix-la-Chapelle. Nous avons Ă peine fait une lieue, que dĂ©jĂ je mâĂ©tonne , en jetant les yeux sur la route que nous parcourons , quâon ait osĂ© concevoir le projet dâun chemin de fer dans un pays aussi accidentĂ©. Que rencontrons- 26 nous , en effet? Des montagnes, des vallĂ©es profondes ! des rochers, des torrents ! Mais que ne peuvent aujourdâhui lâindustrie et le gĂ©nie de lâhomme ? Les montagnes ? on les a percĂ©es par des tunnels. Les vallĂ©es? on les a comblĂ©es par des viaducs, soutenus par de doubles Ă©tages dâarcades , prĂ©sentant quelquefois une hauteur de trente Ă quarante mĂštres. Les rochers ? on en a taillĂ© les flancs de granit pour y pratiquer une Ă©chancrure destinĂ©e au passage du chemin de fer. Rien de plus Ă©tonnant, de plus admirable que celte route dâoĂč lâon dĂ©couvre Ă chaque instant des sites dĂ©licieux. Câest la Suisse en petit, ou plutĂŽt câest mieux que la Suisse, car cette province de LiĂšge joint Ă la beautĂ© du paysage les richesses de lâindustrie. Et en effet, Madame, pendant que je trace Ă la hĂąte quelques notes au crayon, Yerviers nous apparaĂźt dans le fond dâune charmante vallĂ©e ; Yerviers, si cĂ©lĂšbre par ses manufactures de draps, et qui, pour la finesse du tissu, la soliditĂ© des couleurs et la perfection de la main- dâĆuvre , lutte sans dĂ©savantage contre nos villes dâElbeuf et de Louviers. Je ne mâattribuerai pas au reste le mĂ©rite de Tl ce rapprochement, que je nâai pas Ă©tĂ© Ă mĂȘme de vĂ©rifier on ne sâarrĂȘte , en effet, que quelques minutes Ă Yerviers pour y recevoir et y laisser des voyageurs; mais je venais de lâentendre faire Ă un grave Prussien placĂ© en face de moi, et je mâĂ©tais senti portĂ© Ă le croire sur parole. Ce Prussien Ă©tait un homme dâenviron soixante- cinq ans , clâune belle figure , dâune politesse un peu froide, et par cela mĂȘme peut-ĂȘtre annonçant lâhomme bien Ă©levĂ©. A cĂŽtĂ© de lui Ă©tait sa femme, dont la physionomie vive et spirituelle et les maniĂšres gracieuses nous avaient prĂ©venu sur-le-champ en sa faveur. Elle parlait fort bien français, et la conversation ne tarda pas Ă sâengager entre nous. Je crus dâabord quâelle Ă©tait la fille du Prussien, tant leurs Ăąges me paraissaient disproportionnĂ©s. La dame avait Ă peine trente ans. Jâallais mâengager sur ce terrain, mais elle sâaperçut bien vite de mon erreur, avec ce tact particulier aux femmes , et sans embarras, sans affectation, elle me parla de son mari et de ses enfants. Je ne pus retenir un mouvement de surprise. Elle adressa alors, dâun ton plein de douceur et dâaffection , quelques mots en allemand Ă son mari, sur la 28 figure duquel parut un lĂ©ger sourire, et elle me dit Vous ĂȘtes en ce moment Ă©tonnĂ© que la femme dâun allemand parle français sans aucun accent. Ma rĂ©ponse sera courte et satisfaisante je suis française et nĂ©e Ă LunĂ©ville. Mon mari, dans un voyage quâil fit en France, me vit et mâĂ©pousa. Mais ne croyez pas que jâaie pour cela rĂ©pudiĂ© ma patrie; non, par le cĆur je suis toujours française. Et bonne française encore ! sâĂ©cria le Prus- sien, en riant. Vous ne vous figurez pas, Mon- sieur, combien de lances jâai Ă©tĂ© obligĂ© de rom- pre Ă Berlin pour Madame, Ă cause de son amour patriotique. Vous savez quâĂ Berlin on nâa pas toujours Ă©tĂ© juste pour la France. Ne vous hĂątez pas dâaccuser les Prussiens. Mon Ăąge vous dit assez que jâai Ă©tĂ© tĂ©moin des revers de mon pays dans ses luttes dĂ©sastreuses avec la France. En 1814 et en 1815 les Prussiens ont pris leur revanche ; mais ce que vous avez appelĂ© leurs cruautĂ©s, leurs exactions, a Ă©tĂ© bien loin de ce que les Français ont fait en Prusse de 1806 Ă 1812. lien rĂ©sulte donc que la vieille gĂ©nĂ©ration prussienne , qui a bu le ca- lice jusquâĂ la lie , a conservĂ© longtemps contre 29 la France une vive animositĂ©... que jâai Ă©tĂ© loin de partager, se hĂąta-t-il dâajouter. Concevez- vous quelles durent ĂȘtre les pĂ©nibles impres- sions dâune femme pleine de cĆur et dâamour patriotique , jetĂ©e dans une sociĂ©tĂ© oĂč elle nâentendait que des expressions de haine, des dĂ©clamations retentissantes contre son cher pays. Elle releva fiĂšrement le gant, et se fit le champion de la patrie absente. Ma position de- venait assez embarrassante. Heureusement mes amis comprirent tout ce quâil y avait de noble et dâĂ©levĂ© dans ce caractĂšre de jeune femme. Ils respectĂšrent sa juste susceptibilitĂ©, et lui permirent dâĂȘtre française. Ă Berlin. Elle trouva dâailleurs de nombreux amis dans la Colonie. » Jâallais lui demander lâexplication de ce dernier mot, quand il prĂ©vint ma question. Nous avons Ă Berlin un quartier qui se com- pose presque en entier de descendants de Fran- çais et quâon appelle la Colonie. Les habitants de ce quartier ont conservĂ© la langue et preste que toutes les habitudes de leur pays. Leurs pĂšres sont arrivĂ©s en Prusse par suite de la rĂ©- vocation de lâĂ©dit de Nantes et pour Ă©chapper 50 aux persĂ©cutions que la vieillesse de Louis XIV avait attirĂ©es sur les Calvinistes. Ils ont apportĂ© dans leur nouvelle patrie leur richesse et leur industrie, et ont contribuĂ© Ă lâagrandissement et Ă la prospĂ©ritĂ© de Berlin. Aussi ils ont Ă©tĂ© protĂ©gĂ©s par nos rois et principalement par le grand FrĂ©dĂ©ric. Eh bien! Monsieur, croiriez- vous que, malgrĂ© la persĂ©cution qui les a forcĂ©s Ă sortir de France, malgrĂ© les faveurs dont nos rois les ont comblĂ©s, malgrĂ© cette prospĂ©ritĂ© toujours croissante qui les environne, ils re- grettent la France? Leurs entretiens roulent continuellement sur ce pays qui a rejetĂ© leurs pĂšres de son sein. Câest lĂ que ma femme allait puiser ses inspirations et entretenir le feu sacrĂ©. Je nâai apportĂ© aucun obstacle Ă ces liaisons, ajouta lâexcellent homme. Je suis Prussien de naissance et de cĆur 5 mais câest prĂ©cisĂ©ment parce que jâĂ©prouve le sentiment patriotique au plus haut degrĂ©, que je le respecte chez les au- trĂšs. Oui, ajouta-t-il avec un accent prononcĂ© , je nâai de haine et de mĂ©pris que pour ces gens toujours prĂȘts Ă sacrifier leur pays aux intĂ©rĂȘts de leur ambition ou de leur amour-propre -, pour ces misĂ©rables, en un mot, qui nâont point 31 a de patrie, quel que soit le nom quâils portent. » Jâaurais voulu, Madame, que vous eussiez assistĂ© Ă notre entretien, que vous eussiez pu lire sur la figure du noble Prussien ses belles et touchantes Ă©motions en me tenant un si digne langage. Et sa femme! avec quel plaisir elle le regardait! Je compris alors quâelle pouvait, quâelle devait lâaimer, malgrĂ© la diffĂ©rence Ă©norme qui sĂ©parait leurs Ăąges peut-ĂȘtre quarante ans. Dans la conversation nous vĂźnmes Ă parler de Bruxelles. 11 me demanda si jâĂ©tais allĂ© visiter le champ de bataille de Waterloo. Non, lui rĂ©pon- dis-je , jâaurais eu trop de peine Ă voir le théùtre dâun aussi grand dĂ©sastre arrivĂ© aux armĂ©es françaises. Je laisse ce plaisir aux Anglais et aux Prussiens. Les Anglais, poursuivit-il, furent bien heu- reux de nous rencontrer sur cette scĂšne de carnage , car sans nous , vous leur faisiez Ă©prouver la plus rude dĂ©faite dont leurs annales aient fait mention. Et pourtant, lui dis-je , la gloire des Anglais, dans cette journĂ©e, a Ă©clipsĂ© celle des Prussiens. Câest que les Anglais, rĂ©pliqua-t-il vive- 32 ment, sont de grands escamoteurs , de grands comĂ©diens. MisĂ©rables fanfarons! Ils osent se vanter dâavoir vaincu les Français dans cette journĂ©e; mais, Monsieur, interrogez toute lâAl- lemagne. LĂ il nâest pas un enfant qui ne sache que le 46 juin 4845, Ă quatre heures du soir, les Anglais Ă©taient battus sur tous les points ; quâune partie des bagages de lâarmĂ©e filait dĂ©jĂ sur Bruxelles ; que la retraite Ă©tait imminente, puisque tous les corps de lâarmĂ©e avaient Ă©tĂ© successivement engagĂ©s , Ă lâexception dâun corps de deux mille hommes dâexcellente cava- lerie que Wellington conservait prĂ©cieusement pour protĂ©ger sa retraite. Câest alors que le pre- mier corps de lâarmĂ©e prussienne , commandĂ© par Bulow, arriva sur le champ de bataille, et couvrit les Anglais en attaquant vivement les vainqueurs. La rĂ©serve française nâavait pas encore Ă©tĂ© engagĂ©e ; elle se porta au devant des' Prussiens et leur livra un sanglant combat, pendant que les Anglais, simples spectateurs de cette seconde partie de la journĂ©e, se ralliaient derriĂšre les bataillons prussiens. MalgrĂ© cette intervention inespĂ©rĂ©e de trente mille hommes de troupes fraĂźches , Wellington avait Ă©tĂ© telle- oo ment dĂ©moralisĂ© par le non-succĂšs de ses prĂȘte miĂšres tentatives , quâil nâosa encore compter sur la rĂ©ussite et ne pensa pas Ă lancer sur le champ de bataille ses deux mille hommes de cavalerie , qui auraient peut-ĂȘtre dĂšs ce mois ment dĂ©terminĂ© la victoire. Ce ne fut quâĂ sept heures du soir, Ă lâarrivĂ©e de Blucher qui ame- nait un deuxiĂšme corps de troupes fraĂźches, et a quand alors lâarmĂ©e française nâavait plus ab- solument rien Ă lui opposer, que Wellington se ravisa et donna lâordre de cette fameuse charge de cavalerie qui nâavait que le tort de venir quand tout danger avait cessĂ© et que la bataille nâĂ©tait plus douteuse. VoilĂ pourtant, Monsieur, me dit le Prus- sien avec amertume, comme on Ă©crit lâhisâ toire. La voilĂ cette fameuse charge de cava- lerie Ă laquelle les Anglais ont impudemment attribuĂ© la victoire et quâils ont reproduite jusquâĂ satiĂ©tĂ© dans leurs revues pour la plus grande satisfaction des badauds de Londres. Fut-il jamais charlatanisme plus effrontĂ© ? Oui, Ă Waterloo, les Français avaient battu les An- glais sans mĂȘme avoir Ă©tĂ© obligĂ©s de se servir de leur rĂ©serve, et ce sont les Prussiens qui sont 5 venus donner la main aux Anglais, et les rele- ver quand ils Ă©taient Ă terre. » Je ne puis, Madame, vous exprimer le singulier plaisir que jâĂ©prouvais Ă entendre le noble Prussien sâexprimer ainsi. Il me parlait dâune journĂ©e dĂ©sastreuse pour la France, et cependant son langage me convenait. Câest que je me disais Quelle opinion lâEurope a-t-elle donc de notre France, puisque depuis trente ans deux peuples braves se disputent avec acharnement lâhonneur de lui avoir portĂ© le dernier coup, et quâils y attachent leur plus beau titre de gloire ? Et puis dâailleurs je surprenais les Anglais en flagrant dĂ©lit de mensonge, sâattribuant une victoire remportĂ©e par dâautres. Je voyais leurs historiens, leurs orateurs , Walter Scott, Castle- reag, etc., remplir, Ă proprement parler, le rĂŽle de lâĂąne qui joue de la trompette, câĂ©tait vraiment divertissant pour un Français. Je conçois, lui dis-je, que vous ayez Ă vous plaindre de lâAngleterre. Depuis bien des annĂ©es sa politique exploite le monde. Nulle puissance nâa aussi bien quâelle mis en action la maxime Diviser pour rĂ©gner. Du haut des falaises de Douvres elle observe lâEurope, fait jouer mille 55 ressorts pour pousser les nations du continent les unes contre les autres , se repaĂźt du spectacle de leurs sanglants dĂ©bats , et quand elle les voit Ă©puisĂ©es , haletantes, elle sort de son Ăźle , arrive sur le champ de bataille pour porter secours Ă celle des nations dont la puissance lui fait le moins d'ombrage, dĂ©cider la victoire en sa faveur , et prendre la plus forte part du butin. Aux uns elle vole leurs villes et des provinces entiĂšres , aux autres elle enlĂšve leur prospĂ©ritĂ© commerciale, Ă vous elle a cherchĂ© Ă dĂ©rober une gloire lĂ©gitimement acquise. Vous le savez , et cependant vous ĂȘtes rivĂ©s Ă son alliance. DĂ©trompez-vous, me rĂ©pondit-il vivement -, si lâAngleterre a pesĂ© longtemps sur lâAllema- gne, ce temps est passĂ© ; aujourdâhui, et pour toujours peut-ĂȘtre, lâAllemagne Ă©chappe Ă F An- glelerre. Jâirai plus loin. Il y a chez tous les peuples dâAllemagne, malgrĂ© mĂȘme les efforts de leurs gouvernements, une disposition pro- noncĂ©e Ă se rapprocher de la France, car, il faut bien que vous le sachiez, lâAllemagne aime la France autant quâelle dĂ©teste lâAngle- terre. Dâabord le caractĂšre et les habitudes françaises lui plaisent, et ensuite elle a beau- 56 coup plus Ă gagner avec la France quâavec Y An- gleterre, en ce quâelle peut Ă©couler en France autant de produits quâelle en reçoit dâelle. LâAngleterre, au contraire, faisant trĂšs-peu dâĂ©changes avec lâAllemagne et lâinondant du produit de ses manufactures , Ă©crase les manu- factures allemandes qui ne peuvent se procurer les matiĂšres premiĂšres Ă aussi bon marchĂ©. Mais le gouvernement prussien, qui craint pour ses provinces RhĂ©nanes les sympathies françaises , autant pour le moins quâil craint la concurrence anglaise pour son industrie com- merciale, repousse cette tendance de lâAileâ magne vers la France. Il a donc imaginĂ© le Zollverein, ou lâunion des douanes allemandes, afin dâabaisser les barriĂšres commerciales entre les divers Ă©tats de lâunion et de recrĂ©er lâan- cienne unitĂ© allemande. Le but de cette assoie dation est dâapprendre Ă lâAllemagne Ă se pas- ci ser de ses voisins et Ă trouver chez elle tous les produits manufacturĂ©s quâelle allait chercher en France ou en Angleterre. Au moyen du Zoll- verein, toute lâAllemagne sâentendra pour que ses produits circulent librement dans tous les Ătats soumis au Zollverein, et pour que les 37 produits des nations voisines , et notamment de la France et de lâAngleterre , soient frappĂ©s dâinterdit dans ces mĂȘmes Etats, ou y soient soumis Ă des droits Ă©normes, ce qui revient au mĂȘme. Câest une mesure dĂ©sastreuse pour lâAnte gleterre qui Ă©tait depuis un grand nombre dâannĂ©es en possession de vendre tous ses pro- duits Ă lâAllemagne. Maintenant nous croyez- vous encore rivĂ©s Ă lâalliance anglaise, ainsi que vous me le disiez il nây a quâun mo- ment? » â Je connaissais, lui rĂ©pondis-je, lâinstitution du Zollverein. Je vous accorderai mĂȘme que lâAngleterre en Ă©prouvera un prĂ©judice rĂ©el ; mais croyez-vous que la France nâen souffrira pas Ă©galement? â Moins que lâAngleterre dont lâAllemagne se dĂ©tache tout-Ă -fait, reprit le Prussien , et quand lâinfluence de cette puissance ne pĂšsera plus sur les relations de la France et de lâAllemagne, doutez-vous que ces deux grands pays ne finissent par sâentendre cordialement ? â Jâen accepte lâaugure , lui dis-je ; mais au reste le Zollverein nâest pas complĂštement instituĂ©. Tant que lâAutriche nây aura pas donnĂ© 38 son adhĂ©sion, la mesure sera incomplĂšte , et nous savons tous quâelle lâa refusĂ©e. â Câest vrai, mais câest peut-ĂȘtre un peu la faute du gouvernement prussien. 11 sâest hĂątĂ© trop vite de prendre la prĂ©sidence du Zollverein ; et quand on a proposĂ© Ă lâAutriche dâentrer dans lâassociation, elle a demandĂ© quelle place on lui avait rĂ©servĂ©e. LâAutriche accoutumĂ©e depuis un grand nombre dâannĂ©es Ă marcher Ă la tĂȘte de lâAllemagne, ne peut accepter la prĂ©sidence de la Prusse. Il lui faut une position au moins Ă©gale. Le Zollverein aura-t-il deux prĂ©sidents? Dâun autre cĂŽtĂ© la maison dâAutriche qui professe une espĂšce de culte pour le statu quo, consentira-t-elle Ă livrer ses possessions Ă lâesprit dâinnovation? Que fera-t-elle surtout Ă lâĂ©gard de la Hongrie qui a ses privilĂšges dont elle est si jalouse, et auxquels le Zollverein porterait atteinte? Il faut espĂ©rer que le temps rĂ©soudra ces difficultĂ©s qui sont grandes. En attendant que lâAutriche se dĂ©cide, la Prusse continue Ă agir auprĂšs des autres Ătats voisins pour les engager Ă entrer dans lâalliance ; et je sais mĂȘme quâelle a fait Ă la Belgique des ouvertures qui nâont pas Ă©tĂ© repoussĂ©es. 59 â Quoi ! la Belgique , que nous avons sauvĂ©e deux fois dâune invasion, qui nous doit le plus grand des bienfaits, son existence comme Etat ! â La Belgique vous Ă©chappera, soyez-en convaincus. Son intĂ©rĂȘt le lui commande 5 et dâailleurs quelle foi pouvez-vous avoir dans lâalliance belge? La lĂ©gĂšretĂ© et lâinconstance des Belges ne sont-elles pas proverbiales? Dans quelques annĂ©es, si lâoccasion sâen prĂ©sente et si on les en prie bien fort, ils formeront la tĂȘte dâune nouvelle coalition contre la France. Vous nâaviez quâun moyen de vous assurer dâeux, câĂ©tait de les rĂ©unir Ă la France. Vous le pouviez en 1830. Tout vous Ă©tait permis alors, car lâEurope vous craignait. Vous avez laissĂ© passer le moment, et vous savez aussi bien que moi que lâoccasion perdue ne se retrouve pas. â II nous restera toujours un moyen de nous concilier la Belgique et de prĂ©venir son adhĂ©sion au Zollverein allemand, en lui offrant dâabaisser entre nous la barriĂšre des douanes. Elle prĂ©fĂ©rera certainement notre alliance commerciale aux propositions de la Prusse. â Votre gouvernement nâosera pas, il craindrait de blesser vos grands propriĂ©taires de bois 40 auxquels la houille belge ferait une rude concurrence,* et presque tout le commerce français qui aurait trop Ă souffrir de lâintroduction libre des produits belges. La France est principalement un pays de consommateurs. La Belgique au contraire est essentiellement productrice, et pourrait alimenter par ses fabriques un empire de cent millions dâhabitants. Tout lâavantage dans lâabaissement des barriĂšres douaniĂšres serait donc pour la Belgique. â Et cependant vous consentez Ă lâadmettre dans le Zollverein. Elle nây est pas encore , me rĂ©pondit le Prussien. 11 ajouta aprĂšs quelques instants de silence me rĂ©pondit-il en me tendant la main. DĂšs ce moment la connaissance fut faite, et pour vous expliquer comme nous nous trouvĂąmes bien dâavoir changĂ© de places, je me servirai dâune comparaison Supposez que vous ĂȘtes emprisonnĂ©e dans un Ă©troit corset qui vous force de vous tenir raide t guindĂ©e , et que vos pieds mignons sont resâ ĂOO serrĂ©s dans des souliers trop petits qui ne vous permettent pas de faire un mouvement sans gĂȘne. Tels nous Ă©tions avec les Anglais. Figurez-vous maintenant quâau sortir de ces entraves, vous passez une douillette bien large et bien moelleuse, que vous entrez vos pieds dans de bonnes pantoufles bien fourrĂ©es , et que vous vous livrez au coin du feu Ă une causerie agrĂ©able avec de bons amis. Tels nous nous trouvĂąmes avec la famille allemande. Le mari, comme je lâappris bientĂŽt, Ă©tait un professeur de lâuniversitĂ© de Gottingue. Sa femme, bonne grosse allemande, avait toujours le sourire sur les lĂšvres, et ne perdait pas un seul moment de vue son mari et ses deux enfants. Le garçon , ĂągĂ© de douze Ă quatorze ans, avait dĂ©jĂ lâair recueilli et mĂȘme un peu pĂ©dant câĂ©tait un Ă©lĂšve en thĂ©ologie. Quant Ă sa fraĂźche jeune sĆur , elle aspirait lâair Ă pleins poumons, Ă©tait heureuse de tout ce quâelle voyait, de tout ce quâon disait autour dâelle , de vivre en un mot, et, par son enjouement et sa vivacitĂ©, avait seule le pouvoir de dĂ©rider son pĂšre , dont la figure , quoique pleine de bienveillance, Ă©tait naturellement sĂ©rieuse. 101 Je trouvai dans ce dernier un homme profondĂ©ment instruit, principalement dans lâhistoire du moyen Ăąge ; je regardai donc cette rencontre connue une vĂ©ritable bonne fortune. Le reste des passagers se composait de touristes belges ou prussiens quâon reconnaissait au petit havresac en cuir quâils portaient attachĂ© sur le dos. Presque tous y joignaient une Ă©norme pipe suspendue Ă leur boutonniĂšre, et une petite boĂźte en fer-blanc, passĂ©e en sautoir, et contenant leur tabac. Je suis rĂ©ellement fĂąchĂ© pour le bon peuple allemand de cette absurde passion pour le tabac Ă fumer. Je trouve quâelle lâabsorbe, quâelle lâalourdit, quâelle lâĂ©nerve mĂȘme. Si cette habitude me semble rĂ©prĂ©hensible dans des hommes faits , que dois-je en penser quand je la vois dĂ©jĂ enracinĂ©e chez des enfants de quatorze Ă quinze ans ! Nous avions aussi sur le paquebot un assez grand nombre dâhabitants des bords du Rhin , dont le personnel se renouvelait Ă chaque station. En face de Bonn le Rhin est fort beau. Il ressemble Ă un grand lac. Dâun cĂŽtĂ© est la ville de Bonn avec ses monuments et son enceinte de murailles, 102 au delĂ desquelles on aperçoit les hauteurs de Poppelsdorf. De lâautre cĂŽtĂ© du Rhin on a la vue de campagnes fertiles bornĂ©es par le Godesberg et le Kreusberg. Sur la montagne du Godesberg on remarque les belles ruines dâun vieux fort romain. Ce fort, dit une ancienne lĂ©gende, fut bĂąti par un roi Ă©tranger qui Ă©tait venu avec une grande armĂ©e dans ces contrĂ©es. Il fut aidĂ© dans la construction du fort par les mauvais esprits avec lesquels il avait fait alliance , et auxquels il avait Ă©rigĂ© un temple oĂč lâon offrait des sacrifices humains. Par lâinfluence de ces mauvais esprits, il rĂ©gna sur le Rhin ; mais Ă lâarrivĂ©e des prĂȘtres chrĂ©tiens , qui par lâefficacitĂ© de leurs priĂšres conjurĂšrent les mauvais esprits, le roi fut forcĂ© Ă une fuite honteuse. Il est facile de voir quâon a voulu personnifier dans ce roi Julien lâapostat, qui sĂ©journa effectivement, avec ses lĂ©gions, dans ces contrĂ©es. Câest ainsi quâon Ă©crivait lâhistoire dans ces temps Ă demi barbares. Ne vous Ă©tonnez pas si je mĂȘle Ă des descriptions fort sĂ©rieuses et fort exactes quelques contes populaires que vous allez peut-ĂȘtre repousser du 105 haut de votre superbe raison. Songez que je suis dans le pays des enchantements ; que dans quelques instants je vais me trouver en face de ces sept montagnes qui, dans le moyen Ăąge, furent le théùtre de mille combats , de mille aventures chevaleresques; que chacune des ruines que jâaperçois eut dans les anciens temps son tyran et sa victime ; que les grottes quâon dĂ©couvre dans ces rochers, baignĂ©s par le Rhin, furent lâasile impĂ©nĂ©trable dâun dragon ou autre animal fantastique qui dĂ©vorait les imprudents navigateurs , jusquâĂ ce que quelque saint en eĂ»t dĂ©livrĂ© le pays, ou lâeĂ»t rendu doux comme un agneau ; que , parmi les cent cinquante passagers qui sont sur le paquebot, il y en a au moins la moitiĂ© qĂŒi, sâils ne croient pas fermement Ă toutes ces traditions, ne sont pas Ă©loignĂ©s de penser quâelles sont basĂ©es sur quelque Ă©vĂ©nement Ă©tonnant, Ă©trange, inexplicable. Que moi, tout le premier, je commence Ă ressentir lâinfluence de lâair du pays ; que la France , Paris et mĂȘme Rouen sont loin de mes pensĂ©es qui errent au milieu de ces ruines, les rebĂątissent, les repeuplent de leurs hĂŽtes , et reproduisent Ă mes yeux quelques-unes de ces terribles scĂšnes que jâai lues autrefois 104 dans Herman dâUnna ou les Chevaliers des sept Montagnes. DâaprĂšs toutes ces considĂ©rations , jâespĂšre que vous accueillerez avec indulgence les anecdotes du temps passĂ© que je devrai Ă la complaisance , ou Ă la crĂ©dulitĂ©, si vous lâaimez mieux , de mes compagnons de voyage. CHAPITRE II. KĆnigsviiiiter â lies Sept Monts* â Chronique sur Roland* â ChĂąteaux de Rheineck et de Hamuer* stein* Nous arrivĂąmes Ă KĆnigs'winter , petite ville de quinze cents habitants sur la rive droite du Rhin, au pied de trois coteaux plantĂ©s en vignes la Halde , le Sauerberg et le Hardberg. Lâorigine de cette ville remonte, dit-on , Ă lâempereur Valentinien , qui y sĂ©journa avec son armĂ©e pen- 106 dant quâil faisait construire des forts sur le Lo- wenberg et le Stromberg. Câest ordinairement Ă KĆnigswinter quâon prend cfĂšs guides pour parcourir les sept monts. La chaĂźne majestueuse des sept monts tire son nom des sept sommets qui dominent toute la chaĂźne. Le premier et le plus escarpĂ© des sept monts le Drachenfels , sâĂ©lĂšve sur le bord du fleuve, comme une paroi colossale. Toutes les pierres quâon a employĂ©es Ă la construction de la cathĂ©drale de Cologne ont Ă©tĂ© tirĂ©es des carriĂšres du Drachenfels , que , par cette raison , on appelle aussi CarriĂšres du DĂŽme Dombruch. A lâEst, une crĂȘte joint le Drachenfels avec le Wolken- bourg qui a la forme dâun cĂŽne tronquĂ©. Au Midi, et Ă droite du Drachenfels, paraĂźt le Stromberg; et derriĂšre ces trois montagnes , un peu plus loin du Rhin , sâĂ©lĂšvent le Lowenberg , le Nieder , lâOelberg et le Hemmerich. Ces sept montagnes, vues du Rhin, forment un magnifique amphithéùtre. Elles sont toutes couronnĂ©es par les ruines dâun chĂąteau. La chronique, en effet, rapporte que chacune de ces montagnes Ă©tait la propriĂ©tĂ© dâun puissant 107 chevalier, qui avait Ă©tabli sa rĂ©sidence dans un chĂąteau fort, situĂ© au sommet, ce qui ne le faisait pas mal ressembler Ă *lâaire dâun aigle. Ces chevaliers, suivant les habitudes du bon vieux temps, Ă©taient un peu voleurs et dĂ©trousseurs de passants. Ils exerçaient surtout leur coupable industrie Ă lâĂ©poque oĂč les marchands se rendaient aux foires de Francfort et de Leipsick , et ne se faisaient faute de les voler quand lâoccasion sâen -prĂ©sentait. Les bourgeois des villes voisines, importunĂ©s par les plaintes de ces marchands, firent une confĂ©dĂ©ration pour mettre les voleurs Ă la raison ; mais les hauts et puissants seigneurs prĂ©tendirent que les vilains cherchaient Ă empiĂ©ter sur leurs privilĂšges, et formĂšrent de leur cĂŽtĂ© une alliance pour maintenir le statu quo, câest-Ă -dire leur droit inaltĂ©rable de piller impunĂ©ment comme par le passĂ©. Les anciennes chroniques rapportent meme que cette alliance Ă©tait figurĂ©e par sept flĂšches rĂ©unies dans un mĂȘme faisceau. Il en rĂ©sulta des combats acharnĂ©s. Tous ces chevaliers , couverts de fer , parfaitement exercĂ©s au mĂ©tier des armes , pouvant se rĂ©fugier Ă lâapproche du danger dans un asile presque im- 108 prenable et appelant dâailleurs Ă leur aide tous les bandits qui pullulaient dans les Etats voisins, avaient un avantage incalculable sur les habitants des villes. Ceux-ci, en effet, mal armĂ©s , peu ou point exercĂ©s aux combats, manquant de discipline , ne pouvaient que difficilement, malgrĂ© leur courage, rĂ©sister aux attaques rĂ©itĂ©rĂ©es des chevaliers. NĂ©anmoins , les bourgeois suppléÚrent Ă lâhabiletĂ© et Ă la discipline par le nombre et la persĂ©vĂ©rance. Ils firent essuyer plusieurs dĂ©faites aux chevaliers, sâemparĂšrent de quelques chĂąteaux , et adressĂšrent leurs justes plaintes Ă lâEmpereur. Ce ne fut pas en vain, car lâhistoire nous apprend que, dans une seule campagne, lâempereur Henri V prit et fit raser le Drachenfels et le Wolhenbourg. Une fois le faisceau rompu, il fut facile de venir Ă bout des autres Ă©lĂ©ments de rĂ©sistance, et tous les chĂąteaux tombĂšrent successivement aux mains des bourgeois des villes, qui ne firent grĂące Ă aucun , et ne laissĂšrent partout que des ruines. Plus loin , le Rhin se partage en deux bras qui entourent deux Ăźles connues sous le nom de Rolandswert ; et sur un rocher Ă droite se prĂ©- 109 sentent les sombres ruines de Rolandseck. Ces ruines , couvertes de lierre et de plantes grimpantes, sont dâun effet majestueux. La perspective , du haut de Rolandseck, doit ĂȘtre admirable. Une ancienne chronique raconte que Roland, neveu de Charlemagne, vivement Ă©pris dâune jeune beautĂ©, la poursuivait avec toute lâardeur de lâamour, quand, arrivĂ© dans lâĂźle de Rolands- wert, il apprit que , pour Ă©chapper Ă ses poursuites , elle sâĂ©tait rĂ©fugiĂ©e et avait pris le voile dans un couvent quâon apercevait sur lâautre rive du Rhin. Le paladin, accablĂ© de regrets, mais voulant du moins respirer le mĂȘme air que sa bien-aimĂ©e, bĂątit le chĂąteau de Rolandseck , dâoĂč il pouvait voir le couvent, et y fixa son sĂ©jour jusquâĂ la mort de la jeune fille, qui arriva quelques annĂ©es plus tard. Il est Ă remarquer que , dans les anciennes chroniques , on se plaĂźt toujours Ă faire de Roland un amant trompĂ© dans ses espĂ©rances, de mĂȘme qu'on peint Renaud de Montauban comme ayant Ă©tĂ© constamment heureux , et quâon les retrouve lâun et lâautre, avec ces mĂȘmes caractĂšres , dans les poĂšmes immortels du Boyardo et no de lâArioste , et dans les chroniques de lâarchevĂȘque Turpin. Il est donc fort Ă croire que le nom de Roland nâa Ă©tĂ© donnĂ© au hĂ©ros de cette histoire quâĂ cause de ses malheurs en amour. Si Roland, en effet, avait Ă©tĂ© le hĂ©ros de toutes les aventures qui lui sont attribuĂ©es, il aurait vĂ©cu dix Ăąges dâhomme. Au reste, il y a une question prĂ©judicielle Ă examiner, câest celle-ci Roland, comte dâAngers, neveu de Charlemagne, a-t-il jamais existĂ©? Lâhistoire se tait sur ce personnage, mais toutes les anciennes chroniques en parlent ; et la tradition, dans le midi de la France et en Espagne , a transmis jusquâĂ nous quelques-unes de ses aventures , et notamment sa dĂ©faite et sa mort Ă Ronce vaux. Qui faut-il croire? AprĂšs Rolandseck les montagnes sâabaissent et des deux cĂŽtĂ©s du Rhin font place Ă de riantes campagnes. De nombreux villages apparaissent sur le penchant des coteaux couverts de vignes. Cette vue charmante repose des sombres Ă©motions quâont fait naĂźtre les sept monts. Nous aperçûmes bientĂŽt Unkel, petite ville de six Ă sept cents habitants , et, un peu plus loin , Remagen , le Rigomagum des Romains, 111 autre petite ville, bĂątie sur la chaussĂ©e de Co- blentz Ă Bonn. Cette chaussĂ©e, qui est une des plus belles d'Allemagne, est due en partie aux Français qui lâachevĂšrent en 1801. A cette occasion on dĂ©couvrit une grande quantitĂ© de pierres milliaires , de monnaies , de colonnes avec des inscriptions , de cercueils et autres objets dâantiquitĂ©. On y trouva la preuve que dĂ©jĂ les empereurs Marc-AurĂšle et Lucius Verus avaient fait construire une chaussĂ©e dans ces mĂȘmes lieux. En passant devant Erpler-Ley , mont de basalte au pied duquel sâĂ©tend le bourg dâErpel, avec une population de huit cents habitants , on nous fit remarquer que ce mont produisait le meilleur vin blanc de cette contrĂ©e , nommĂ© vin de Le', ce qui Ă©tait dĂ» principalement Ă lâexposition des coteaux au soleil du matin et du midi. En effet , la nature du sol y entre pour bien peu de chose ; il est tellement pierreux quâon est obligĂ© de planter chaque cep dans un panier rempli de gazon et de terre, et de lâenterrer ainsi dans les crevasses du rocher. Nous arrivĂąmes devant Linz, petite ville situĂ©e sur le penchant dâune montagne qui sâĂ©lĂšve au bord du Rhin. Elle a pour dĂ©fense un chĂąteau 112 placĂ© prĂšs de la porte du Rhin, et que lâarchevĂȘque Engelbert III fit bĂątir en 1365 pour assurer la perception du pĂ©age de ce fleuve. LâĂ©glise mâa semblĂ© fort ancienne et dâun aspect imposant. Plus loin nous aperçûmes le chĂąteau de Rhei- Ă« neck, au haut dâune montagne. Il ne paraĂźt rester du vieux chĂąteau que quelques ruines et une tour fort Ă©levĂ©e, de la plate-forme de laquelle la vue doit sâĂ©tendre sur un panorama magnifique. Cette tour, me dit le bon professeur, Ă©tait de construction romaine , et elle avait dĂ©jĂ usĂ© plusieurs chĂąteaux. » Je conserve cette Ă©nergique expression, qui peint parfaitement lâextrĂȘme soliditĂ© de la tour et en gĂ©nĂ©ral des ouvrages faits par les Romains. Nous passĂąmes devant un Ă©norme rocher noir qui est penchĂ© sur le fleuve. Nous aperçûmes sur son sommet les ruines du vieux chĂąteau de Ham- merstein. Ce chĂąteau Ă©tait une position trop importante pour ne pas avoir excitĂ© la convoitise des puissants seigneurs du voisinage ; aussi nous voyons dans lâhistoire quâil changea fort souvent de maĂźtre. Il fut enfin dĂ©moli par les Français en 1688, aprĂšs la paix de Westphalie. Ăź 13 Avant dâarriver Ă cette fin, de combien dâĂ©vĂ©nements ce chĂąteau nâa-t-il pas Ă©tĂ© tĂ©moin ! Tous les changements de maĂźtre quâil a subis nâont pu arriver sans de violentes commotions. Qui nous dira lâhistoire secrĂšte du chĂąteau de Hammer- stein? HĂ©las! elle se rĂ©sume peut-ĂȘtre, comme lâhistoire de tout le moyen Ăąge, dans des actes dâoppression, de vengeance et de cruautĂ©, au milieu desquels on voit apparaĂźtre, Ă de rares intervalles, quelques traits de dĂ©vouement, dâhĂ©roĂŻsme et de gĂ©nĂ©rositĂ©. CHAPITRE III. ISuincs dn chĂąteau du Diable. â Origine de ce nom. â Andernacli. â Keuwied. â JEngers. â Ghrenbreit- stcin. â Coblentz. Nous aperçûmes bientĂŽt Andernach, avec ses tours dĂ©labrĂ©es et ses murailles noircies par le temps , et le riant village de Leudesdorf. Avant dây arriver nous passĂąmes devant les ruines de FrĂ©dĂ©richstein, nommĂ©es aussi le ChĂą- 115 teau du Diable. Je voulus connaĂźtre lâorigine de ce surnom, et voici ce quâon me rapporta Sur lâemplacement de ces ruines existait jadis un chĂąteau redoutĂ© des patrons des ba- teaux du Rhin, qui lâavaient surnommĂ© le CliĂą- teau du Diable, Ă cause des nombreux nau- frages arrivĂ©s en ce lieu. Ce passage dangereux Ă©tait habitĂ© par un ' chevalier fĂ©lon qui, en fait de mĂ©chancetĂ©, , aurait remontrĂ© au diable lui-mĂȘme. 11 ne sou- tenait le faste de sa maison quâĂ lâaide des Ă©pais ves quâil retirait des naufrages arrivĂ©s sur le Rhin dans lâĂ©tendue de ses domaines. Pour aug- menter le nombre de ces sinistres, il faisait enfoncer la nuit, au milieu du fleuve, par un j de ses Ă©cuyers, des pieux aigus qui perçaient les 5 flancs des bateaux et Ă©taient cause de tous les malheurs arrivĂ©s dans ces parages maudits. Ayant appris quâun riche navire devait re- k culiĂšrement aux soins de son Ă©cuyer ; mais ce dernier avait nĂ©gligĂ© dâexĂ©cuter les ordres de son seigneur, qui avait eu le mortel dĂ©plaisir s de voir, des fenĂȘtres de son chĂąteau, le navire franchir sans avaries la passe dangereuse. Le 116 chĂątelain, pour punir son vassal de sa nĂ©gli- gence, lui avait fait donner cent coups de fouet. Alors lâĂ©cuyer, furieux de cette punition, sâĂ©tait enfui vers lâarchevĂȘque de Cologne. AprĂšs sâĂȘtre jetĂ© Ă ses pieds et avoir implorĂ© son pardon, il lui avait confessĂ© les crimes dont il sâĂ©tait rendu complice. LâarchevĂȘque, dont le pouvoir Ă©tait grand , avait pardonnĂ© Ă lâĂ©cuyer Ă cause de son re- pentir; mais il sâĂ©tait emparĂ© par surprise du chĂąteau , et pour punir le possesseur de ses actes de piraterie, il lâavait fait pendre, haut et court, aux fenĂȘtres de son chĂąteau, qui depuis ce moment avait toujours conservĂ© le nom de ChĂąteau du Diable. » Une seconde version assigne Ă ce nom une autre origine. Le chĂąteau de FrĂ©dĂ©richstem aurait Ă©tĂ© construit autrefois avec des matĂ©riaux transportĂ©s Ă lâaide de corvĂ©es imposĂ©es au peuple , et le peuple , irritĂ© contre ces corvĂ©es, aurait par cette raison nommĂ© le chĂąteau , la Maison du Diable. La premiĂšre version offre plus dâintĂ©rĂȘt, la seconde est plus vraisemblable je vous laisse le choix. H7 En lace dâAndernach le Rhin se irouve resserrĂ© entre des rochers escarpĂ©s qui rendent son cours plus rapide. Mon compagnon de voyage m'entretint de lâancienne splendeur dâAndernach, qui, Ă lâĂ©poque de la fĂ©dĂ©ration des villes du Rhin , pouvait fournir mille fantassins armĂ©s et cinquante che- comparaison avec elles. Pour voir le Giessbach dans toute sa beautĂ© , il {i faut monter jusquâaux plus hautes cascades et ne pas sâarrĂȘter Ă moitiĂ© chemin, comme je lâai vu faire Ă plusieurs voyageurs qui ne croient pas moins fermement avoir tout visitĂ©. En effet, le Giessbach se prĂ©cipite du haut de la montagne en formant une suite de chutes plus ou moins § Ă©levĂ©es. NouS en avons comptĂ© sept, toutes re- g marquables par la variĂ©tĂ© de leur forme et leurs nombreuses gerbes, et les premiĂšres se trouvent § Ă une assez grande hauteur. LâimpĂ©tueux torrent 1 tombe ainsi, de cascade en cascade , tantĂŽt en nappes dâargent, tantĂŽt en flocons dâĂ©cume, sur des rochers quâil cherche en vain Ă Ă©branler, et va enfin reposer ses ondes fatiguĂ©es dans les gouffres du lac de Brientz. La plus belle cascade est sans contredit celle qui tombe du haut dâun rocher, dont la base creusĂ©e forme une grotte oĂč on peut facilement se placer, de maniĂšre Ă avoir le volume dâeau entre soi et i 257 le ciel. Nous j sommes arrivĂ©s au moment meme oĂč le soleil frappait sur la cascade et venait se rĂ©flĂ©chir dans le fond de la grotte aprĂšs avoir traversĂ© le volume dâeau. CâĂ©tait un effet dâarc- en-ciel fort remarquable. Non loin du Giessbach on nous montra une terrasse avancĂ©e sur le bord du lac et nommĂ©e le Tansplatz la place de danse; la tradition rapporte que deux amants avaient Ă©tĂ© forcĂ©s de renoncer Ă une union quâils dĂ©siraient ardemment. Il Ă©tait dâusage que le jour de la fĂȘte du pays on se rĂ©unĂźt sur le Tansplatz pour se livrer Ă des danses Ă la vue du lac. Les deux amants parurent Ă la fĂȘte dans leurs plus beaux habits. Quand le signal de la walse se fit entendre, ils se rĂ©unirent aux danseurs. On les vit quelque temps, au milieu des autres walseurs, faire admirer leur lĂ©gĂšretĂ© . Insensiblement ils sâapprochĂšrent du lac en tournant sur eux-mĂȘmes. On avait fait jusque-lĂ peu dâattention Ă eux ; mais quand on les vit gagner le bord du lac, un cri gĂ©nĂ©ral dâeffroi se fit entendre. On courut Ă eux pour les prĂ©venir du danger et les arrĂȘter. Il Ă©tait trop tard. Un dernier tour de walse les prĂ©- 17 258 cipita dans lâabĂźme, oĂč leur vie sâĂ©teignit pendant quâils se tenaient Ă©troitement embrassĂ©s. Cette anecdote me frappa beaucoup ; elle me rappela quâun genre de mort Ă peu prĂšs semblable fut choisi par les femmes et les filles de Souli, pour Ă©chapper aux outrages des soldats du fameux Ali, pacha de Janina. Qui nâa pas ouĂŻ dire en Europe la rĂ©sistance dĂ©sespĂ©rĂ©e dâune poignĂ©e de Souliotes contre toutes les forces clâAli ? Ils durent enfin succomber sous les efforts du nombre et de la trahison. Quand vint ce moment, les femmes et les vierges de Souli, sur le point dâĂȘtre livrĂ©es aux Albanais, satellites dâAli, rĂ©solurent de mourir. Elles se rĂ©unirent sur un rocher qui dominait un prĂ©cipice dâune immense profondeur. Toutes se tenaient par la main. Elles commencĂšrent une espĂšce de danse funĂšbre, en chantant sur un rhjthme, dâabord lent, ensuite plus accĂ©lĂ©rĂ©, des adieux Ă leur cher pays et Ă la vie. Elles formaient une longue chaĂźne, et Ă mesure que lâextrĂ©mitĂ© de cette chaĂźne sâapprochait du prĂ©cipice , une main se dĂ©tachait et une femme tombait. Aucune ne refusa cet horrible sort ; et les Albanais, au moment oĂč ils arrivaient sur la cime du rocher, pu- 259 rent encore ĂȘtre tĂ©moins de la cliute de la derniĂšre de ces femmes hĂ©roĂŻques. Nous quittĂąmes enfin le Giesshach pour nous rendre Ă Brientz, oĂč nous arrivĂąmes en peu de temps. La position de Brientz , Ă lâextrĂ©mitĂ© du lac, est agrĂ©able , quoique trop resserrĂ©e entre le lac et la montagne. Dans lâhĂŽtel oĂč nous nous arrĂȘtĂąmes pour dĂ©jeuner , nous avions la vue du lac, qui offre un aspect bien plus sĂ©vĂšre que le lac de Thun. Il est encaissĂ©, au nord et au midi, entre deux montagnes noirĂątres qui ne prĂ©sentent que peu de traces de vĂ©gĂ©tation. Souvent mĂȘme le pied de ces montagnes baigne dans le lac, en sorte que, sauf quelques rares exceptions, on ne voit sur ses bords ni champs, ni prairies, ni maisons de campagne. Le lac de Brientz est, dit-on, un des plus profonds de la Suisse. Nous prĂźmes ensuite une'de ces petites voitures du pays , quâon appelle char de cĂŽtĂ©, pour nous rendre Ă Meyringen. Nous parcourĂ»mes un pays fort agrĂ©able , et bientĂŽt nous arrivĂąmes Ă la dĂ©licieuse vallĂ©e de Hasli, dans laquelle se trouve Meyringen. Nous 260 rencontrions souvent des champs plantĂ©s de pommiers , qui nous rappelaient notre Normandie et nous faisaient grand plaisir Ă voir. De tous cĂŽtĂ©s nous apercevions de belles habitations, de riches vergers et une foule de tableaux gracieux et riants qui faisaient contraste avec les sombres rochers qui bordaient lâhorizon. Un peu Ă droite de Meyringen est le Reichen- bach-, dont les eaux font marcher une scierie. Nous allĂąmes visiter cette belle cascade. Le Rei- chenbach sâĂ©lance avec une violence inexprimable et un bruit sourd semblable au tonnerre ; il tombe dâabord sur un rocher plat oĂč ses eaux sâĂ©tendent et dâoĂč il retombe en large cascade au fond dâun gouffre dont on nâenvisage quâen tremblant la profondeur. Le volume dâeau est plus considĂ©rable quâau Giessbach ; et cependant nous avons prĂ©fĂ©rĂ© cette derniĂšre cascade , parce quâil y rĂšgne moins de confusion, que les tableaux sont plus variĂ©s , et que la position dâailleurs est plus pittoresque. Meyringen est un grand village oĂč on trouve beaucoup dâanciennes maisons suisses; mais le marteau des dĂ©molisseurs y a commencĂ© ses ravages , et dans quelques annĂ©es les beaux et anti- 261 ques chalets seront tous remplacĂ©s par des maisons modernes. Il nous restait Ă franchir le mont Brunig, qui nous sĂ©parait de Lungern. Nous nous procurĂąmes Ă cet effet des chevaux et un guide Ă Mey- ringen. Nous suivĂźmes dâahord un chemin fortagrĂ©able, pratiquĂ© dans une foret de grands hĂȘtres et de sapins qui nous garantissaient contre les ardeurs du soleil. Nous montions insensiblement, et la premiĂšre Ă©claircie nous laissa voir, Ă gauche, Ă une assez grande profondeur, de riantes prairies ; et Ă droite, le Weilerhorn , qui sâĂ©lĂšve au-dessus du Brunig, dans la forme dâun mur taillĂ© Ă pic. Le Weilerhorn me rappela , sous certains rapports , le MarborĂ© que jâavais vu, trois ans auparavant , dans les PyrĂ©nĂ©es, et qui enceint si majestueusement le cirque de Gavarnie. Mais le Weilerhorn se prolonge en droite ligne, et nâa pas la forme semi-circulaire du MarborĂ© , ses cinq ou six Ă©tages de terrasses, qui sont comme les gradins dâun cirque immense, et, par-dessus ces terrasses, le Daillon , qui protĂšge de sa cime audacieuse cette architecture gigantesque. Il 262 manque encore au Weilerhorn celte cascade de mille deux cent soixante-six pieds dâĂ©lĂ©vation , qui , vers les deux cinquiĂšmes de sa chute, rencontrant une roche saillante, se brise , rejaillit et tombe dans le cirque de Gavarnie en vapeurs dâune blancheur Ă©clatante-, et surtout cette brĂšche de Roland, dâun effet si grandiose, ouverte dans la montagne du MarborĂ© par le paladin Roland , dâun seul coup de sa terrible Ă©pĂ©e, si lâon en croit une des traditions les plus audacieuses de cette poĂ©tique contrĂ©e. Aussi, quelque imposant que soit le Weilerhorn, il est bien loin dâexciter cet enthousiasme qui saisit tous les voyageurs Ă la vue du MarborĂ© et du cirque de Gavarnie. bientĂŽt nous aperçûmes, dans une seconde Ă©claircie, le lac de Rrientz et une grande partie de la vallĂ©e deHasli. Cette vue est trĂšs-belle. Le pays devint plus sauvage. Nous marchions souvent sur un sol rocailleux couvert de mousse. De temps en temps nous rencontrions de petits oasis cultivĂ©s oĂč poussaient lâherbe et quelquefois les pommes de terre. Ils Ă©taient entourĂ©s par une haie de bois sec, renfermaient une ou deux vaches, et plus souvent des chĂšvres et quelque moutons. Au milieu se trouvait un petit chalet Ă peine 265 suffisant pour garantir le gardien et les animaux contre les rigueurs de la tempĂ©rature. Nous Ă©tions alors Ă deux mille pieds environ au-dessus du lac de Brientz , mais la journĂ©e Ă©tait si chaude et si belle que nous nous apercevions Ă peine que lâair Ă©tait rarĂ©fiĂ©. En approchant du point le plus Ă©levĂ© du passage , nous trouvĂąmes une maison de pĂ©age oĂč nous payĂąmes une petite rĂ©tribution destinĂ©e, nous dit-on, Ă indemniser les ouvriers qui rendent la route praticable pour les piĂ©tons et les chevaux. Nous arrivĂąmes enfin au sommet du Brunig , et alors le lac de Brientz et la vallĂ©e de Hasli se dĂ©ployĂšrent en entier Ă nos regards vĂ©ritablement enchantĂ©s. En descendant vers Lungern le paysage nous parut aussi pittoresque, mais moins sĂ©vĂšre. La chaĂźne du Vcilerhorn nous serrait de moins prĂšs, et Ă droite et Ă gauche de la route des arbres remarquables par leur belle venue et leur hauteur prodigieuse dĂ©robaient Ă la vue les aspĂ©ritĂ©s des rochers. A la moitiĂ© de la descente nous trouvĂąmes un passage trĂšs-difficile et trĂšs-escarpĂ©, ressemblant 264 plutĂŽt Ă une rampe dâescalier quâĂ une route, et oĂč les chevaux pouvaient Ă peine tenir pied. Nous le franchĂźmes sans accident. Nous apercevions des vallons et des collines couverts de la verdure la plus fraĂźche ; en face de nous, dans la vallĂ©e, le joli village de Lungern , lieu de notre destination , et un peu plus loin le petit lac de LungernsĂ©e. Le soleil alors se couchait et jetait sur le paysage des flots de pourpre et dâor. Nous avions sous les yeux une nature riche et cultivĂ©e qui formait le plus heureux contraste avec les lieux arides que nous venions de parcourir; aucune maison moderne ne nous gĂątait cette belle partie de la Suisse, les paysans et les paysannes que nous rencontrions Ă©taient vĂȘtus de lâancien costume suisse. En arrivant Ă lâauberge du Soleil, Ă Lungern, nous vĂźmes Ă la porte des voyageurs allemands que nous avions dĂ©jĂ rencontrĂ©s Ă Interlacken, mais qui, au lieu de franchir le Brunig , avaient pris la route de la vallĂ©e, route beaucoup plus facile mais moins pittoresque. Sur la description que nous leur fĂźmes du Brunig, ils regrettĂšrent beaucoup de ne pas nous avoir imitĂ©s. Ils nous 265 donnĂšrent pour motif lâĂąge avancĂ© du chel'de la famille, M. K_, conseiller intime du roi de Pi âąusse. Il avait dĂ©sirĂ© revoir, avant de mourir, la Suisse, quâil avait visitĂ©e dans sa jeunesse, mais il Ă©vitait autant que possible les fortes fatigues. Sa famille se composait de sa femme , encore assez jeune, de leurs deux filles et dâune dame de compagnie. Le conseiller et sa femme comprenaient peu le français, mais la dame de compagnie et les jeunes filles le parlaient sans aucun accent. Cette sociĂ©tĂ© nous plut beaucoup. Nous nâeĂ»mes avec le conseiller et sa femme quâun Ă©change de politesses et de propos obligeants, que les jeunes filles reportaient des uns aux autres, aprĂšs les avoir traduits ; mais avec ces derniĂšres et leur dame de compagnie nous fĂźmes presque connaissance. Jâannonçai Ă ces voyageurs que nous nâallions que passer Ă Lungern, et que nous irions coucher Ă Alpnach. Il nây a pas de voiture ce soir , nous dit une des jeunes filles en riant. Notre hĂŽte nous tient prisonniĂšres ici jusquâĂ demain matin , et le meme sort vous attend. » Câest que vous nâavez pas insistĂ©, rĂ©pondis-je ; 266 je suis sĂ»r quâil cĂ©dera Ă nos justes demandes. Jâallai aussitĂŽt le trouver. CâĂ©tait bien la meilleure figure de Suisse quâon pĂ»t rencontrer mĂ©lange tout Ă la fois de bonhomie et de finesse. Il me dit, avec force salutations et un aplomb imperturbable , que ses voitures et ses chevaux ; Ă©taient en voyage, mais que le lendemain, Ă cinq ' heures du matin, conducteur, cheval et voiture âą ... * seraient Ă notre disposition. CâĂ©tait exactement la rĂ©ponse quâil faisait Ă tous les voyageurs qui tĂ©moignaient le dĂ©sir de ' se remettre de suite en route. En un mot, notre hĂŽte, qui nâĂ©tait pas gĂątĂ© par le passage trop frĂ©quent des Ă©trangers, voulait absolument nous donner Ă dĂźner et Ă coucher. Comme nous Ă©tions Ă sa discrĂ©tion, je me gardai bien de lui faire sentir que jâavais pĂ©nĂ©trĂ© ses combinaisons. Nous prĂźmes gaĂźment notre i parti, et nous mĂźmes le temps Ă profit en visitant â Lungern. I Nous voilĂ donc au centre de la Suisse, dans le canton dâUnterwalden, dans la patrie de Guillaume Tell. Notre hĂŽte est sorti ce matin avec moi pour me faire voir les chalets du village , 267 qui sont remarquables par leur beautĂ©. Presque tous sont dĂ©corĂ©s extĂ©rieurement de peintures qui rappellent toujours un trait dâhistoire de la Suisse. Jâavoue que tous ces hĂ©ros ont de singuliĂšres figures. Quâimporte? aprĂšs tout. Pour les habitants de Lungern, ce sont les actions de Guillaume Tell, dâArnold de Melchtal, de Winkel- ried et dâautres hĂ©ros suisses qui revivent dans ces grossiĂšres images. Elles servent de texte Ă leurs narrations durant leurs longues soirĂ©es dâhiver ; elles les excitent Ă lâamour de leur indĂ©pendance , les encouragent Ă la dĂ©fense de leurs droits. Les fresques du Vatican, peintes par RaphaĂ«l et Michel-Ange, nâont peut-ĂȘtre jamais produit autant dâeffet sur les Romains modernes. Jâai appris que la vallĂ©e de Lungern nâĂ©tait quâaux deux tiers de la descente du Brunig Ă Sarnen , et quâaprĂšs avoir suivi cette vallĂ©e pendant plusieurs lieues, nous aurions une nouvelle cĂŽte Ă descendre pour entrer dans la vallĂ©e de Sarnen. Notre hĂŽte nous a procurĂ© une petite voiture pour faire ce trajet. Avant de prendre congĂ© de lui , je dois dire que nous nâeĂ»mes point sujet 268 de regretter notre sĂ©jour forcĂ© Ă Lungern. Nous fĂ»mes assez bien traitĂ©s, et Ă un prix modĂ©rĂ©. En sortant de Lungern nous avons trouvĂ© le lac de LungernsĂ©e, que nous avons cĂŽtoyĂ© pendant assez longtemps. Sur les deux rives de ce lac nous ne voyions ni rocs dĂ©charnĂ©s, ni glaciers , ni montagnes de neige , mais partout des formes arrondies et gracieuses , des collines couvertes de verdure. Nous arrivĂąmes ainsi Ă la descente rapide dont nous avait prĂ©venu notre hĂŽte de Lungern. On lâa rendue praticable pour les voitures au moyen de rampes qui ont Ă©tĂ© creusĂ©es dans les flancs de la montagne. Nous la parcourĂ»mes donc sans aucun obstacle sĂ©rieux. Dâabord nous rencontrĂąmes une forĂȘt de gros arbres dâune prodigieuse hauteur. PI us loin la forĂȘt fit place Ă de beaux pĂąturages en pente plus ou moins rapide, sur lesquels se trouvaient dissĂ©minĂ©s des chĂąlets et de nombreux troupeaux, et au delĂ nous commençùmes Ă apercevoir la belle vallĂ©e de Sarnen. Le pays nous semble encore plus beau quâĂ notre arrivĂ©e Ă Lungern. Il est aussi plus peuplĂ© , plus vivant. Sur les montagnes, couvertes de verdure, qui sâĂ©lĂšvent des deux cĂŽtĂ©s de la vallĂ©e. 269 nous distinguons une foule de jolies maisons et des groupes pittoresques de grands arbres. La scĂšne est animĂ©e par des troupeaux de vaches et i de chĂšvres qui, en marchant, font rĂ©sonner dâĂ©normes grelots suspendus Ă leur cou. Des habitants , vĂȘtus de lâancien costume suisse, nous accueillent avec un sourire doux et affectueux. Tout, en un mot, donne Ă cette belle contrĂ©e un caractĂšre vraiment pastoral. Câest Ă Lungern et dans la vallĂ©e de Sarnen, et lĂ seulement, que jâai retrouvĂ© la Suisse telle que nous la dĂ©peignent les anciens historiens. Nous suivĂźmes une route qui est sur la droite de la vallĂ©e, et presque toujours ombragĂ©e par de beaux arbres. Nous laissĂąmes Ă notre gauche lâĂ©glise de Sarnen, qui, vue de loin, nous parut jolie. Nous cĂŽtoyĂąmes le lac de Sarnen, qui est beaucoup plus grand que celui de LungernsĂ©e, et dont les bords sont tapissĂ©s de riantes habi-> tĂątions. Tout Ă©tait calme autour de nous, et nous jouissions dĂ©licieusement de lâaspect dâun beau pays, quand des coups de tonnerre nous annoncĂšrent lâapproche dâun orage. Le vent siffla, les eaux du lac se soulevĂšrent, et en moins de temps 270 peut-ĂȘtre que je ne mets Ă l'Ă©crire, un orage Ă©clata sur nos tĂȘtes et nous inonda dâun dĂ©luge de pluie. Ce sont les inconvĂ©nients de la Suisse ; le temps y est extrĂȘmement variable ; les hautes montagnes dont vous ĂȘtes environnĂ© ne vous permettent pas de voir venir les orages , et vous ĂȘtes surpris par un brusque changement de temps au moment oĂč vous cherchiez Ă vous dĂ©fendre des rayons du soleil. Nous arrivĂąmes enfin Ă Alpnach , sur le lac de Lucerne, ou des Waldstetten, ou des Qualre- Cantons, noms dont on se sert indiffĂ©remment pour dĂ©signer ce beau lac. Alpnach est situĂ© au fond dâune des quatre haies principales formĂ©es par le lac de Lucerne. Ce lac figure assez bien une croix dont Lucerne serait la tĂȘte , et Alpnach et Kussnach les deux bras. La baie dâAlpnach est resserrĂ©e entre deux hautes montagnes. Elle sâĂ©largit Ă mesure quâon avance au milieu du lac. Quand on a passĂ© Win- kel, il faut tourner Ă gauche pour aller gagner Lucerne. On se trouve alors assez prĂšs du mont Pilate, qui domine toute cette partie du lac. Jâai profitĂ© du court sĂ©jour que jâai fait Ă Alp- 271 nach pour visiter son Ă©glise, qui mâa semblĂ© fort ancienne, et oĂč jâai remarquĂ© des ornements sculptĂ©s en bois dâun curieux travail. On nous avait fait espĂ©rer quâĂ Alpnach nous trouverions un bateau Ă vapeur pour nous rendre Ă Lucerne. Ce bateau Ă©tait passĂ© il y avait plusieurs heures, et nous fĂ»mes obligĂ©s de nous contenter dâune barque conduite par quatre rameurs. Pendant quâon disposait la barque nous entrĂąmes Ă lâhĂŽtel du Cheval-Blanc, sur le lac. Nous fĂ»mes agrĂ©ablement surpris dây retrouver la famille du conseiller K., qui nous avait devancĂ©s. Elle attendait, comme nous, le moment de sâembarquer pour Lucerne. Les deux jeunes fdles regardaient dâun air peu rassurĂ© la barque quâon prĂ©parait. La salle Ă©tait pleine de monde, et la plus jeune fille surtout paraissait se demander avec inquiĂ©tude si tout ce monde, quelle comptait du bout du doigt, trouverait place sur le frĂȘle esquif. Quand son doigt fut dirigĂ© vers nous elle nous reconnut et nous montra Ă sa sĆur. Elles vinrent aussitĂŽt nous souhaiter la bien-venue et nous firent part de leurs craintes. Nous les rassurĂąmes. Le bateau Ă©tait grand. Il 272 Ă©tait conduit par quatre rameurs qui devaient savoir ce quâil pouvait porter, et sans doute quâon Ă©viterait de le surcharger. Je me trompais. Les malheureux nous entassĂšrent au nombre de dix- sept dans une barque qui avait Ă©tĂ© faite pour douze ou au plus quatorze passagers. Cependant, comme le temps paraissait redevenu beau et que les bords du lac nâĂ©taient pas agitĂ©s, nous nous mĂźmes en route sans trop dâapprĂ©hension. Quand nous fĂ»mes sortis de la baie dâAlpnach et que nous nous trouvĂąmes dans la direction de Lucerne, le temps changea pour la seconde fois depuis le matin, et le tonnerre se fit entendre de nouveau. Les vagues sâagitĂšrent et le bateau Ă©prouva de tels soubresauts que nos bateliers, malgrĂ© leur assurance, jugĂšrent prudent de changer de route et de se diriger vers la terre, qui heureusement nâĂ©tait pas Ă©loignĂ©e. Nous gagnĂąmes une petite anse et nous nous mĂźmes Ă lâabri sous une espĂšce de mauvais hangard. Pendant ce temps lâorage redoublait de violence, avec accompagnement dâĂ©clairs, de tonnerre et de grĂȘle. Les pauvres jeunes filles me regardaient dâun air presque fĂąchĂ© et semblaient ' me reprocher lâassurance que je leur avais don- 275 nĂ©e. Je leur montrai lâhorizon , qui Ă©tait dĂ©jĂ Ă©clairci, les nuages noirs disparaissant derriĂšre le mont Pilate, et un magnifique arc-en-ciel annonçant le retour du beau temps. Cette fois les espĂ©rances que jâavais donnĂ©es ne furent pas trompĂ©es. Le temps redevint tout Ă fait beau, et nous eĂ»mes jusquâĂ Lucerne un ciel sans nuages. Le lac Ă©tait bien encore un peu agitĂ© ; mais les jeunes filles, qui avaient eu la preuve de lâhabiletĂ© et de la prudence des bateliers , les voyant ramer vigoureusement sans aucune prĂ©occupation , en tirĂšrent avec raison la consĂ©quence que le danger Ă©tait passĂ© ; elles reprirent toute leur assurance et finirent par rire aux Ă©clats de leur frayeur. Pendant ce temps jâexaminais avec attention le lac de Lucerne. CâĂ©tait la premiĂšre fois que jâavais la vue de ce beau lac, et je ne puis vous exprimer tout le plaisir quâil me faisait Ă©prouver. Ses bords, fermĂ©s par de hautes montagnes et dâimmenses blocs de granit dans la baie dâAlp- nach, sâabaissaient Ă mesure que nous approchions de Lucerne, et se couvraient sur les deux rives de riantes habitations, de charmantes maisons de campagne, qui descendaient jusquâau lac 18 * 274 par une pente plus ou moins rapide. Au-dessus on apercevait cette longue suite de montagnes qui entourent le lac, et dont les plus Ă©levĂ©es sont le mont Rigi et le mont Pilate. Ce spectacle Ă©tait tout Ă la fois gracieux et sublime. Mais le bateau sâavançait toujours vers Lucerne , dont on commençait Ă apercevoir les flĂšches pointues. Le soleil dardait sur nous avec force ses rayons, qui se reflĂ©taient dans les eaux bleues du lac. La chaleur Ă©tait devenue tout Ă coup suffocante , et pourtant nous la supportions avec plaisir, car plusieurs dâentre nous avaient Ă©tĂ© plus ou moins atteints par la pluie, et trouvaient doux de se sĂ©cher aux feux du soleil. Enfin nous arrivĂąmes Ă Lucerne, et nous abordĂąmes sur le quai, en face de lâhĂŽtel du Cygne, oĂč nous descendĂźmes. CINQUIEME PARTIE LUCERNE. LE RiGI. â RETOUR A BALE. CHAPITRE 1. Lucerne. â Ponts. â Ăglise». â CloĂźtre. â Arsenal. â Lion de Thorwaldscn. Ce matin jâai Ă©tĂ© rĂ©veillĂ© par le soleil, qui donnait dans notre chambre. Ne vous Ă©tonnez pas si je vous parle si souvent du soleil. En voyage, quand la chaleur est modĂ©rĂ©e, câest un ami bien prĂ©cieux, surtout au bord des lacs et des riviĂšres. Les brouillards, les orages, le sifflement des vents 278 peuvent figurer avec avantage dans une description poĂ©tique quâon lit le soir, au coin dâun bon feu, mais en voyage, câest la chose du monde la plus dĂ©testable. Malheureusement, depuis plusieurs jours, quoique dans la plus chaude saison de lâannĂ©e, nous avions Ă©tĂ© trop souvent appelĂ©s Ă en faire lâexpĂ©rience. Nous habitons une chambre dâoĂč la vue est admirable. Dans le lointain nous apercevons, Ă gauche, le mont Rigi, et Ă droite , le mont Pilate ; sous nos fenĂȘtres, le mouvement du port de Lucerne, et, quelques pas plus loin, son beau lac, dĂ©jĂ sillonnĂ© par une foule dâembarcations. Je me suis mis de bonne heure Ă parcourir la ville. A dix heures du matin, je mâĂ©tais dĂ©jĂ assez bien rendu compte de sa position. Jâavais reconnu sa division en deux parties la grande et la petite ville. Jâavais visitĂ© plusieurs de ses ponts, quâon pourrait aussi bien appeler des galeries de bois bĂąties sur pilotis. Deux surtout mĂ©ritent une mention particuliĂšre le pont de la Chapelle , ayant 320 mĂštres de long, et dĂ©corĂ© de peintures sur bois reprĂ©sentant des Ă©pisodes tirĂ©s des temps hĂ©roĂŻques de la Suisse ou de la vie des 279 deux patrons de la ville, saint LĂ©ger et saint Maurice ; et le pont du Hof, ayant 450 mĂštres de long , ornĂ© de 238 peintures sur bois, reprĂ©sentant des sujets tirĂ©s de lâancien et du nouveau Testament. Ces deux ponts sont couverts. Les peintures qui les dĂ©corent sont dâaffreuses croĂ»tes ; mais quand on pense quâelles sont lĂ depuis quatre ou cinq cents ans, que rien ne les dĂ©fend contre les passants , et que cependant elles nâont subi dâautres outrages que ceux du temps, on ne peut s'empĂȘcher de les voir avec intĂ©rĂȘt, jâallais presque dire avec respect. Nous avons ensuite visitĂ© LâĂ©glise de Saint-LĂ©ger, au Hof, remarquable par son antiquitĂ©, puisquâelle fut fondĂ©e en 695. On nous a fait voir, dans le chĆur, un fort beau tableau, peint par Lanfranc. 11 reprĂ©sente le Christ au mont des Oliviers. La grille du chĆur est Ă©galement digne dâattention. Un cloĂźtre, dâoĂč lâon a une vue admirable , et qui sert de sĂ©pulture aux principales familles du canton de Lucerne. Jâai toujours aimĂ© ces sĂ©pultures de famille prĂšs des Ă©glises, des lieux oĂč se rassemblent les populations. Cette rĂ©union a quelque chose de touchant, qui me 280 plaĂźt, qui me va au cĆur. Il me semble quâune des craintes quâon doit avoir en mourant, câest dâĂȘtre oubliĂ© vite, et nâest-ce pas une consolation de pouvoir se dire Quand mes enfants iront Ă lâĂ©glise ils passeront prĂšs de mon tombeau, et donneront un souvenir et un regret Ă ma mĂ©moire. LâĂ©glise et le couvent des Franciscains. Nous avons vu dans le chĆur un beau tableau, reprĂ©sentant saint Antoine, et, dans la nef, des peintures assez grossiĂšrement faites, figurant les banniĂšres conquises par les anciens Lucernois. Ces derniĂšres peintures mâont nĂ©anmoins fait plaisir, comme souvenir historique. Nous avons fini par lâarsenal, oĂč lâon nous a montrĂ© la cotte de mailles que portait LĂ©opold dâAutriche Ă la bataille de Sempacli, oĂč il fut tuĂ©, le 9 juillet 1386. Il est Ă observer que ce duc LĂ©opold Ă©tait petit-fils dâun autre duc du mĂȘme nom qui, soixante-onze ans auparavant, avait perdu la bataille de Morgarten, aussi contre les Suisses. Dans lâintĂ©rieur de la ville nous avons remarquĂ© plusieurs tours fort anciennes. Sur lâune dâelles est peinte une Ă©norme figure de gĂ©ant. En gĂ©nĂ©ral, les monuments et les maisons ont un caractĂšre de moyen Ăąge qui fait contraste avec les nouvelles constructions quâon Ă©lĂšve de toutes parts dans la ville. Pour mon goĂ»t personnel , jâaimerais mieux que chaque localitĂ© sâĂ©tudiĂąt Ă conserver en toutes choses son type national. Il nous restait Ă voir la merveille de Lucerne. On mâavait beaucoup vantĂ©, Ă Berne , le lion de Thorwaldsen. Je ne sais si vous avez appris que Lucerne sâenorgueillit dâavoir comptĂ© au nombre de ses enfants plusieurs des Suisses qui dĂ©fendirent courageusement, le 10 aoĂ»t 1792, le chĂąteau des Tuileries contre les hordes de Danton, et scellĂšrent de leur sang leur fidĂ©litĂ© au malheureux Louis XYI. Un citoyen de Lucerne, M. de Pfyffer, a voulu consacrer Ă la mĂ©moire de ses compatriotes un monument digne de leur belle action. Il y a rĂ©ussi dâune maniĂšre aussi neuve que grandiose. Il a demandĂ© au cĂ©lĂšbre Thorwaldsen le modĂšle en plĂątre du monument, et il lâa fait tailler par un jeune sculpteur de Constance nommĂ© Ahorn , dans un Ă©norme rocher qui ferme un 282 des cĂŽtĂ©s de son jardin. Il en est rĂ©sultĂ© un monument dâun effet admirable. Rien de plus simple en apparence, et nĂ©anmoins de plus poĂ©tique, que lâidĂ©e qui a inspirĂ© lâartiste. Un lion percĂ© dâune lance expire en couvrant de son corps un bouclier ornĂ© de fleurs de lis. Au-dessus de la grotte on lit lâinscription suivante Helveliorum fidei ac virtuti. Lâexpression du lion mourant est sublime. Câest le plus fier courage uni Ă la plus parfaite rĂ©signation. Ce monument fait honneur au citoyen et Ă lâartiste. Revenu Ă lâhĂŽtel, jâai assistĂ© pour la premiĂšre fois Ă une longue discussion sur la question qui divise aujourdâhui la Suisse, la question des JĂ©suites 5 et je vous avoue que cette question a pris sur-le-champ Ă mes yeux des proportions beaucoup plus grandes que je ne mây attendais. Le canton de Lucerne a appelĂ© des jĂ©suites pour leur confier la direction dâun sĂ©minaire, et peut-ĂȘtre plus tard de lâĂ©ducation publique. Dâautres cantons demandent que Lucerne 285 soit forcĂ© de renvoyer les JĂ©suites , sous prĂ©texte que leur prĂ©sence menace la tranquillitĂ© publique et mĂȘme la sĂ»retĂ© intĂ©rieure de la Suisse. Tel est, en abrĂ©gĂ©, lâĂ©tat de la question. Elle Ă©tait dĂ©battue en ce moment devant moi par deux interlocuteurs qui y mettaient une extrĂȘme chaleur et presque de lâanimositĂ©. On me dit que câĂ©taient deux beaux-frĂšres, dont lâun Ă©tait catholique et lâautre protestant. Cela me fit peur; je crus presque ĂȘtre revenu au temps des guerres de religion. Ecoutez lâun La souverainetĂ© des cantons est la base mĂȘme du pacte fĂ©dĂ©ral. En vertu de ce droit souve- rain, Lucerne est bien le maĂźtre de recevoir sur son territoire qui bon lui semble. La diĂšte fĂȘte dĂ©rale, il est vrai, a le droit de prendre des mesures pour rĂ©primer les actes dâun canton qui troubleraient la tranquillitĂ© publique de la Suisse, mais non pour prĂ©venir des troubles qui nâexistent pas, et qui peut-ĂȘtre nâarriveront jamais. Si la diĂšte donne lâexemple du mĂ©pris de cette loi fondamentale et intervient dans le gouvernement du canton, non pas pour rĂ©pri~. mer, mais pour prĂ©venir, il y a violation du pacte fĂ©dĂ©ral, il nây a plus de souverainetĂ© can- tonale. Or, qui se plaint dans Lucerne des JĂ©suites ? Par quels actes ont-ils attentĂ© Ă la paix de la confĂ©dĂ©ration Suisse ? Quel trouble y a apportĂ© leur prĂ©sence? Nâest-ce pas une dĂ©rision de prĂ©tendre quâils menacent la sĂ»retĂ© intĂ©rieure de la Suisse? » Entendez lâautr Le pacte fĂ©dĂ©ral, tout en reconnaissant la souverainetĂ© des cantons, contient un arti- cle 8, qui donne Ă la diĂšte le droit de prendre toutes les mesures que rĂ©clame la sĂ»retĂ© intĂ©- rieure de la Suisse. Or, cette sĂ»retĂ© est incom- patible avec la prĂ©sence des JĂ©suites. En effet, ils ont pour but principal lâextirpa- tion du Protestantisme, qui est la religion dâune grande partie de la Suisse, ce qui les met en Ă©tat dâhostilitĂ© permanente avec cette partie du pays. Ils nâont ni famille ni patrie , et ils recoi- vent les ordres dâun souverain Ă©tranger, dâun gĂ©nĂ©ral rĂ©sidant Ă Rome, auquel ils doivent une obĂ©issance aveugle. Nâest-ce pas lĂ une cause suffisante dâalarmes. Le pĂšre de famille attend- il, pour prendre des prĂ©cautions contre le feu , que s maison soit en flammes ? » Je vous ai rapportĂ© fidĂšlement les arguments j pour et contre. La question est scabreuse. Je crois cependant que le droit est en faveur de Lucerne, ! attendu quâil nây a pas en Suisse de lois contre les JĂ©suites. Dieu veuille seulement que cette controverse nâamĂšne pas des orages , et quâelle ne se traduise pas bientĂŽt en coups de fusil et en sanglantes collisions! CHAPITRE II. Voyage au Rigi, 4 aoĂ»t. Ce matin, Ă cinq heures, nous nous sommes embarquĂ©s sur le bateau Ă vapeur qui conduit de Lucerne Ă FluĂ«len. ArrivĂ©s en face de Weggis , nous avons Ă©tĂ© recueillis par une barque qui nous a dĂ©posĂ©s Ă ce dernier village. 287 Nous avons pris Ă Weggis des chevaux et un guide pour monter au Rigi. Nous nous sommes mis en route Ă sept heures j du matin, par un ciel pur et un soleil dâaoĂ»t, et immĂ©diatement nous avons commencĂ© Ă monter. ! i Nous avons suivi dâabord de jolis sentiers prati- ; quĂ©s entre deux haies et ombragĂ©s de grands j arbres. Des deux cĂŽtĂ©s du chemin Ă©taient de charmants vergers plantĂ©s de chĂątaigniers, de ! pommiers et autres arbres Ă fruits. La montagne j garantit ces vergers du vent du nord , ce qui explique comment ils peuvent produire des plantes qui appartiennent Ă un climat plus chaud. Aux vergers ont succĂ©dĂ© des pĂąturages , puis ensuite des rochers escarpĂ©s , dans les flancs desquels Ă©tait taillĂ©e la route que nous parcourions. Partout sur notre chemin nous rencontrions dâadmirables points de vue. Nous avions Weggis et ses dĂ©licieux environs Ă nos pieds ; nous dominions le lac des Quatre-Cantons, et en face de nous , sur lâautre bord du lac, nous apercevions Winkel au pied du mont Pilate. A mesure que nous nous Ă©levions , la vue sâĂ©tendait. Nous trouvions toujours , dans les lieux oĂč elle Ă©tait la plus 288 belle, des bancs prĂ©parĂ©s pour la commoditĂ© des voyageurs. AprĂšs avoir passĂ© lâermitage et la chapelle de Sainte-Croix, la route est devenue excessivement rapide. Nous sommes arrivĂ©s*Ă une espĂšce de , porte fermĂ©e par quatre blocs Ă©normes, entre \ lesquels nous avons passĂ©. Nos chevaux pouvaient âą Ă peine tenir pied , tant le roc sur lequel ils mar- chaient Ă©tait escarpĂ© et glissant. ' Nous trouvions de distance en distance, sur le bord du prĂ©cipice , des petites croix qui indiquaient , nous a dit notre guide, des stations de pĂšlerinage. Sans cette explication, je les aurais prises, dâaprĂšs un usage assez gĂ©nĂ©ralement suivi dans les montagnes , pour lâindication de quelque horrible chute arrivĂ©e Ă ces mĂȘmes places. La route a tournĂ© ensuite Ă gauche et sâest enfoncĂ©e plus avant dans la montagne, oĂč nous avons rencontrĂ© de nouveau des pĂąturages. Un j joli vallon sâest offert Ă notre vue. Câest lĂ que se trouvent lâhospice et la chapelle de Notre-Dame- des-Neiges , lieu de pĂšlerinage trĂšs-frĂ©quentĂ©. Nous avons atteint ensuite lâauberge de Staffel, oĂč beaucoup dâĂ©trangers passent une partie de la belle saison. 289 De Staffel au Kulm, qui est le sommet du Rigi, le chemin longe presque toujours le bord de la montagne, en sorte que nous avions une trĂšs-belle vue sur une partie des petits cantons, vue qui sâĂ©tendait Ă mesure que nous avancions vers le Kulm. Une fois arrivĂ©s au Kulm, un admirable panorama se dĂ©roula sous nos yeux. Jamais rien dâaussi beau nâavait encore frappĂ© nos regards. De quelque cĂŽtĂ© quâils se dirigeassent, ils rencontraient un horizon immense, qui sâĂ©tendait sur une suite de hautes montagnes couvertes de neige, de plaines ondulĂ©es et de beaux lacs. Pour vous en donner une idĂ©e, je me contenterai de vous dire que du Rigi nous apercevions trĂšs-distinctement le lac de Zurich, Ă une distance de dix-huit lieues. Quand la vue se portait moins loin, elle rencontrait, en face de nous, les cantons de Schwitz , Underwald, Uri etZug, autrement nommĂ©s les petits cantons ; en tournant Ă droite, Art au pied du Ruffiberg, les ruines de Goldau, le lac de Lowerz, et derriĂšre nous le lac des Quatre-Cantons, qui, bien quâil fĂ»t Ă©loignĂ© de deux lieues, paraissait si prĂšs, quâil semblait Ă la distance dâune portĂ©e de fusil. 19 290 Dans ce magnifique panorama , ce qui me fit le plus de plaisir, me parut le plus fĂ©erique, le plus miraculeux, fut la vue des petits cantons. Songez que nous nous trouvions sur un point culminant, Ă une hauteur verticale de prĂšs dâun tiers de lieue au-dessus des petits cantons qui ; Ă©taient Ă nos pieds, et que, de cette hauteur, ! quand les nuages ne venaient pas sâinterposer entre la terre et nous, nous pouvions distinguer J parfaitement les villages , les flĂšches des Ă©glises, j les champs, leurs sĂ©parations par des haies , les j maisons, jusquâĂ leurs contrevents verts, et ces " beaux lacs qui brillaient comme des nappes dâar- f gent au milieu de toute cette verdure. La contrĂ©e j i nous paraissait riche, populeuse, cultivĂ©e avec j soin. Les maisons Ă©taient blanches , propres, ; bien bĂąties. Quand un nuage venait se placer entre la terre et nous , il arrivait quelquefois quâil se partageait, et quâil sây faisait une Ă©claircie par laquelle nous avions sur les petits cantons une vĂ©ritable vue dâoptique. Je ne puis vous exprimer le charme et la singularitĂ© de ce spectacle. Je vous ai parlĂ© des ruines de Goldau. Je vous dois Ă cet Ă©gard quelques explications. ; 291 Au-dessus dâArt et sur la pente du Ruffiberg , on aperçoit du Rigi-Kulm une contrĂ©e Ăąpre et sauvage , qui fait contraste avec ce qui lâentoure, et est couverte dâĂ©normes blocs de rochers jetĂ©s le long de la montagne, depuis son sommet jusquâĂ sa base, baignĂ©e par le lac deLowerz. Au milieu de ces rochers on distingue encore, le long du lac, quelques cheminĂ©es de maisons enfouies sous une masse considĂ©rable de dĂ©bris. Ce sont les dĂ©plorables traces dâun affreux Ă©vĂ©nement arrivĂ© le 2 septembre 1806. Dans cette contrĂ©e, aujourdâhui si dĂ©solĂ©e, se trouvaient en \ 806 trois villages populeux , Gol- dau, Busingen et Rothen, placĂ©s sur la pente du Ruffiberg. Le 2 septembre, aprĂšs de longues pluies, une des sommitĂ©s du Ruffiberg se dĂ©tacha de la montagne Ă cinq heures du soir, se prĂ©cipita avec un fracas Ă©pouvantable jusquâau fond de la vallĂ©e, ensevelit sous ses Ă©normes dĂ©bris les trois villages O et combla une partie du lac deLowerz; les eaux de ce lac, chassĂ©es de leur lit, franchirent les rives , sâĂ©levĂšrent Ă une grande hauteur, se l'Ă©pan- dirent dans les campagnes et portĂšrent la dĂ©solation jusquâĂ SĂ©ewen. Faut-il ajouter que plus de quatre cents personnes et une quantitĂ© considĂ©- 292 rable dâanimaux trouvĂšrent la mort sous ce dĂ©luge de pierres qui les couvre encore aujourdâhui? On ne put arracher Ă ces dĂ©bris quâune pauvre vieille femme et une chĂšvre. Toutes les tentatives quâon fit pour pĂ©nĂ©trer plus avant furent vaines , Et lâavare AchĂ©ron ne lĂącha point sa proie. » Cet Ă©vĂ©nement nâest-il pas horrible ? Le rĂ©cit qui mâen fut fait sur le Kulm, en prĂ©sence mĂȘme des lieux tĂ©moins de ce grand dĂ©sastre , me donna le frisson; je frĂ©mis encore en vous le racontant. On vient de tous les points de la Suisse pour voir sur le Rigi le lever du soleil. Ce spectacle , dit-on , est admirable ; et quand un Ă©tranger arrive Ă Lucerne dans lâĂ©tĂ©, câest la premiĂšre belle chose quâon lui conseille dâaller voir. Le lever du soleil sur le Rigi est aussi populaire en Suisse que la chute du Rhin Ă Schaffouse , les glaciers et les lacs, mais il faut en acheter la vue par beaucoup de fatigues et souvent de tentatives inutiles, Ă cause des changements de temps et 295 des brouillards. Ces accidents, qui arrivent frĂ©quemment sur le Rigi, y ont privĂ© bien des voyageurs dâun spectacle quâils venaient chercher de fort loin. Nous ne pĂ»mes nous dĂ©cider Ă courir cette chance, et nous fĂźmes nos prĂ©paratifs pour descendre Ă Weggis. Jâavais assez examinĂ© la route en montant pour ĂȘtre certain que le retour serait la partie la plus difficile de notre voyage. Nous nous mĂźmes donc en route Ă trois heures ; mais alors, pendant que nous jouissions encore sur le Kuhn dâun ciel magnifique, un brouillard Ă©pais enveloppa tout Ă coup la montagne, Ă quelques centaines de pieds au-dessous de nous, et nous ne vĂźmes plus que des nuages qui menaçaient de remonter et de nous envelopper. Nous continuĂąmes nĂ©anmoins Ă descendre. AprĂšs un quart dâheure de marche, nous nous trouvĂąmes au milieu du nuage. Il me parut moins Ă©pais que je ne lâaurais cru dâaprĂšs lâaspect quâil prĂ©sentait du haut delĂ montagne. CâĂ©tait comme un brouillard humide et froid, et deux personnes pouvaient facilement se voir Ă la distance de trois ou quatre pas. Le plus grand inconvĂ©nient qui en rĂ©sultait pour nous, Ă©tait que les chevaux ne 294 lenaienl pas pied sur le roc* humide , ce qui nous forçait Ă marcher plus lentement et Ă redoubler de prĂ©cautions. Pendant plus dâune heure nous fĂ»mes dans le brouillard. Il cessa tout Ă fait quand nous arrivĂąmes Ă lâermitage de Sainte-Croix, et nous nous retrouvĂąmes subitement avec un ciel bleu sur nos tĂȘtes, un soleil magnifique, et notre belle vue du matin sur le lac des Quatre-Cantons ,Weggisetses environs. Cette brusque transition, ce bien-ĂȘtre que nous faisaient Ă©prouver la chaleur aprĂšs lâhumiclitĂ©, la clartĂ© dâun beau soleil aprĂšs lâobscuritĂ© du brouillard, nous causĂšrent une sensation dont jâessaierais vainement de vous retracer le charme. Tout le reste du voyage jusquâĂ Weggis ne fut plus quâun amusement, malgrĂ© lâextrĂȘme fatigue insĂ©parable dâune course aussi pĂ©nible. En arrivant Ă Weggis, nous trouvĂąmes , prĂȘt Ă partir pour Lucerne, un bateau conduit par deux rameurs. Nous nous embarquĂąmes aussitĂŽt , quoique lâaubergiste de Weggis nous eĂ»t averti que la nuit nous prendrait sur le lac. En effet, une lieue avant Lucerne, la nuit arriva, et les bateliers nâeurent plus, pour se diriger 295 sur le lac, que la clartĂ© des Ă©toiles et les feux de Lucerne. Ce fut encore pour nous une derniĂšre , mais dĂ©licieuse sensation , que le spectacle dâune belle nuit, vu au milieu du lac. Le bruit monotone- des rames qui frappaient les eaux en cadence, interrompait seul le silence qui nous environnait. Le balancement du bateau nous invitait presque au sommeil. Nos pensĂ©es erraient du mont Rigi au lac des Quatre-Cantons. Nous admirions leurs accidents si variĂ©s ; nous nous reportions aux Ă©vĂ©nements dont ces lieux avaient Ă©tĂ© tĂ©moins ; nous faisions la revue des siĂšcles passĂ©s ; et, au milieu de cette foule de sensations et de souvenirs , jamais il ne nous vint dans lâidĂ©e de songer aux dangers que nous pouvions courir, la .nuit, dans une frĂȘle barque, sur un lac parsemĂ© dâĂ©cueils, et seuls avec des bateliers qui, deux heures auparavant , nous Ă©taient entiĂšrement inconnus. Si ces idĂ©es avaient pu se faire jour un seul instant dans notre esprit, le charme eĂ»t Ă©tĂ© dĂ©truit , et dâune situation heureuse et paisible nous aurions fait une position pleine de malaise et dâinquiĂ©tudes. Câest une nouvelle preuve que, 29G dans la vie, pour ĂȘtre heureux , il ne faut pas trop prĂ©voir. Nous arrivĂąmes enfin au quai de Lucerne , sains et saufs , mais Ă©puisĂ©s de fatigue, et ayant eu Ă souffrir, tour Ă tour, pendant cette journĂ©e, du froid, de lâhumiditĂ© et de la chaleur. Notre voyage avait durĂ© seize heures, et nous laissait des impressions qui certainement ne sâeffaceront jamais de notre mĂ©moire. » CHAPITRE III. DĂ©part de Lucerne. â Lac de Sempach. â SursĂ©e. â Aaran. â Steln. â Rheinfelden. â Angit. â Retour Ă BĂąle. Nous sommes partis ce [matin de Lucerne Ă cinq heures, par un temps magnifique. A peine sortis des portes de la ville, nous avons jetĂ© un dernier regard sur le montJRigi et le lac des Quatre-Cantons. Nous avons aussi donnĂ© un regret 298 Ă Lucerne , ville si bien situĂ©e, si remarquable sous tant de rapports. Nous avons suivi la route de SursĂ©e, qui est fort belle. Les villages que nous traversions Ă©taient gĂ©nĂ©ralement bien bĂątis ; les maisons avaient en- > core la forme des cliĂąlets suisses, mais toutes les t v nouvelles constructions Ă©taient de forme mo- f derne, ce qui nous dĂ©montrait que le gĂ©nie du progrĂšs avait aussi pĂ©nĂ©trĂ© dans ce canton. Des deux cĂŽtĂ©s de la route nous apercevions des prairies ou des champs parfaitement cultivĂ©s ; ce nâĂ©tait plus la Suisse telle que nous lâavions vue jusquâalors, avec ses montagnes couvertes de neige , ses rochers escarpĂ©s , ses glaciers , ses bruyantes cascades; mais nous rencontrions des j; plaines fertilisĂ©es par de frais ruisseaux, et oĂč lâon remarquait Ă peine de lĂ©gĂšres ondulations de terrain , des routes droites et unies plantĂ©es de beaux arbres, des rĂ©coltes de blĂ©, dâavoine et dâorge. 11 est donc incontestable que la Suisse allemande , sous le rapport de la fertilitĂ© des terres et du bien-ĂȘtre quâelle procure Ă ses habitants , est la meilleure partie de la Suisse. DâoĂč vient pourtant que peu dâĂ©trangers la visitent et que toutes les sympathies des touristes sont pour les 299 contrĂ©es montagneuses ? En voici, je crois , la cause On ne va en gĂ©nĂ©ral chercher chez les autres que ce quâon ne trouve pas chez soi or il y a en France et en Europe beaucoup de pays aussi beaux et aussi fertiles que la Suisse allemande , et il nây a quâun Oberland et une vallĂ©e de Cha- mouny. La Suisse allemande sera donc encore longtemps, malgrĂ© son heureuse situation, la fertilitĂ© de ses terres et ses sites gracieux, dĂ©laissĂ©e par les poĂštes et les peintres, qui vont surtout chercher en Suisse des inspirations et de fortes Ă©motions. Nous arrivĂąmes sur les bords du beau lac de Sempach , que la route cĂŽtoie pendant quelques, minutes. La vue de ce lac, qui est un de ceux que nous apercevions du haut du Rigi, nous fit grand plaisir. Ses eaux Ă©taient calmes et Ă peine ridĂ©es par le vent ; ses rives , couvertes de prairies et dâarbres fruitiers, formaient un paysage dâun aspect champĂȘtre et agrĂ©able. Notre conducteur ne manqua pas de nous montrer de loin la chapelle construite Ă lâendroit mĂȘme oĂč tomba LĂ©opold dâAutriche. Câest Ă lâextrĂ©mitĂ© septentrionale de ce lac 300 quâest situĂ©e la petite ville de SursĂ©e, oĂč nous nous arrĂȘtĂąmes pour dĂ©jeuner, et oĂč nous trouvĂąmes les plus grosses Ă©crevisses quâon nous eĂ»t encore servies en Suisse. De SursĂ©e on voit parfaitement les monts Rigi et Pilate. On a aussi une , trĂšs-belle vue sur les hautes montagnes des cantons dâUri etdâUnterwald. Cette petite ville, bien bĂątie, et situĂ©e dans une contrĂ©e fort agrĂ©able, nous plut beaucoup. Nous continuĂąmes notre route pour Aarau. Ce fut toujours la mĂȘme suite de beaux villages, de riantes campagnes, de vertes prairies entremĂȘlĂ©es de quelques accidents de terrain. Jâavais peine Ă me croire en Suisse, et, sans les hautes montagnes qui bordaient lâhorizon, jâaurais pu aussi bien prendre le pays que nous parcourions pour lâAlsace ou un des dĂ©partements de la France. Enfin , Ă lâextrĂ©mitĂ© dâune grande plaine, nous aperçûmes Aarau. Nous y arrivĂąmes le soir, \ comme le jour finissait, et nous y passĂąmes la 5 nuit. { Jâai peu de choses Ă vous dire dâAarau que je j nâai fait quâentrevoir. Cette ville est renommĂ©e âą en Suisse par ses filatures, ses ateliers de coutel- lerie, ses manufactures dâindienne et surtout de 301 rubans. Le soir, je me rencontrai dans la salle Ă manger avec un gros homme, qui, voyant que jâĂ©tais Français et que jâarrivais de Paris , me demanda ce quâon y pensait de la conduite du canton dâArgovie dans la question des jĂ©suites. Ce brave homme croyait que tous les yeux de lâEurope Ă©taient fixĂ©s sur son canton. Je me gardai bien de le dĂ©tromper. Il faut laisser Ă chacun ses illusions. Câest un des passe-temps, et je dirais presque un des grands bonheurs de la vie. Le lendemain nous nous remĂźmes en route de bonne heure. La contrĂ©e continua Ă se montrer belle et fertile. Nous arrivĂąmes Ă Frick, gros bourg situĂ© prĂšs de la jonction des routes dâAarau et de Zurich , et de lĂ Ă Stein, petite ville du canton de Schaffouse, oĂč nous revĂźmes pour la premiĂšre fois le Rhin depuis notre dĂ©part de BĂąle. Nous rencontrĂąmes Ă Stein deux wurtembour- geois qui venaient de visiter les sources du Rhin dans le canton des Grisons. Ils nous entretinrent des difficultĂ©s quâils avaient Ă©tĂ© obligĂ©s de surmonter, surtout aprĂšs avoir passĂ© le lac de Constance. On voyait encore percer dans leur conversation et dans leur dĂ©- I 502 marche, cette espĂšce de surexcitation que donne une difficultĂ© vaincue et qui dispose Ă la causerie. Ils Ă©taient jeunes, grands et forts , et comme de vĂ©ritables touristes, avaient le long bĂąton ferrĂ© Ă la main et le petit havresac en cuir sur les Ă©paules. Voici ce que jâai retenu de leur conversation Le Rhin est formĂ© par trois ruisseaux qui se rĂ©unissent prĂšs de Rheinau , dans le canton des Grisons. De ces trois ruisseaux, lâun sort du lac de ; Toma, sur la pente orientale du mont Saint- Gothard ; lâautre dâun lac prĂšs du mont dit Lukmanierberg, et le troisiĂšme jaillit dâun glacier nommĂ© Rheinwald-Gletscher, situĂ© Ă une hauteur de six mille pieds. Deux lieues aprĂšs Rheinau, le Rhin arrive prĂšs , de la ville de Coire, en cĂŽtoyant le mont Ga- landa, dont la hauteur est de plus de huit mille pieds. S Il passe par la vallĂ©e de Feldkirch, oĂč il ren- contre Ciller, qui, descendant du mont Arlberg, ĂŻ vient joindre ses eaux aux siennes. ; Il traverse ensuite une contrĂ©e pleine dâanciens \ 303 souvenirs , oĂč lâon trouve le village de Rangkwis, originairement colonie romaine, les ruines du chĂąteau de Montfort, autrefois rĂ©sidence des cĂ©lĂšbres comtes de Montfort, et Dornburen, le plus grand bourg de la monarchie autrichienne ; puis enfin Ă BrĂ©genz, il entre dans le lac de Constance, quâil traverse. Au-dessus de la ville de Stein se prĂ©sentent les ruines du vieux chĂąteau des seigneurs de Holien- klingen , qui tenaient Stein sous leur dĂ©pendance. Il paraĂźt que ces seigneurs avaient fait durement peser le joug sur les habitants-, car, dĂšs que ceux- ci trouvĂšrent le moment favorable, ils sâemparĂšrent du chĂąteau par force ou par adresse, le ruinĂšrent de fond en comble, et recouvrĂšrent ainsi leur indĂ©pendance. Câest ce qui Ă©tait dĂ©jĂ arrivĂ©, ainsi que vous lâavez vu prĂ©cĂ©demment, aux autres petits tyrans des bords du Rhin, et ce qui arrivera toujours chaque fois que les opprimĂ©s recouvreront le sentiment de leur force et de leurs droits. Nous nous dirigeĂąmes ensuite sur Rheinfelden, autre ville situĂ©e Ă©galement sur le Rhin. Nous nous y arrĂȘtĂąmes quelques instants pour voir le pont jetĂ© sur le fleuve, qui, Ă cette place, est 304 excessivement Ă©troit. Le pont repose en partie sur un rocher, sur lequel sâĂ©levait autrefois ,1e chĂąteau des comtes de Rheinfelden, dĂ©moli au quinziĂšme siĂšcle. > A une lieue de Rheinfelden, nous arrivĂąmes sur lâemplacement de lâancienne colonie romaine , Augusta Rauracorum, Ă©tablie sous lâempereur Auguste, dans le pays des Rauraciens, par le pro- consul L. Munatius Plancus. Ce lieu, oĂč se joignent les cantons de RĂąle et s dâArgovie, sâappelle encore aujourdâhui Augst, qui est bien certainement lâabrĂ©viation de son I ancien nom Augusta. On y trouve quelques ruines f romaines, et, entre autres, un ancien aqueduc qui porte dans le pays le nom de Heidenloch trou des paĂŻens. DâAugst Ă BĂąle nous nâavions quâune distance ; de deux lieues. Ce ne fut plus quâune promenade, car la route Ă©tait fort belle. Nous passĂąmes devant un assez grand nombre de charmantes maisons de campagne appartenant aux riches citoyens de BĂąle, et Ă six heures du soir nous Ă©tions de retour Ă BĂąle. ! RĂSUMĂ Nous avons passĂ© seulement un jour Ă BĂąle, et le 8 aoĂ»t nous sommes arrivĂ©s Ă Strasbourg par le chemin de fer. Demain nous retournons directement Ă Paris par Nancy, demain il ne nous restera que la mĂ©moire des beaux lieux que nous avons parcourus. Avant de quitter les bords duRhin, jâai cherchĂ© Ă mettre un peu dâordre dans mes souvenirs, Ă rĂ©sumer en un mot mes impressions depuis mon dĂ©part de Paris. Je me suis demandĂ© ce qui mâavait le plus fortement prĂ©occupĂ© pendant ce voyage. Quelle idĂ©e sâĂ©tait mise en croupe et avait 20 506 constamment galoppĂ© avec moi, pour emprunter le langage de mon vieil ami Horace. Etaient-ce les bords du Rhin de Bonn Ă Mayence? Etaient- ce les souvenirs du moyen Ăąge ? Etait-ce la Suisse ? Ătait-ce le Rigi ? Sans nul doute ils ont puissamment excitĂ© mes Ă©motions ; mais une autre idĂ©e sâest emparĂ©e plus fortement encore de moi, et ne mâa presque jamais quittĂ©. Si je la perdais un instant de vue, elle reparaissait en toute occasion , sous toutes les formes, et ne me laissait point de trĂȘve. DĂ©jĂ vous lâavez vue cherchant Ă se faire jour dans mes entretiens avec le bon professeur de Got- tingue. Je vous en dois maintenant lâaveu complet. Eh bien , en traversant les provinces rhĂ©nanes, qui appartiennent aujourdâhui Ă la Prusse et au grand-duc de Hesse-Darmstadt, en voyant les fortifications dâHuningue rasĂ©es, la France mâa semblĂ© humiliĂ©e, amoindrie , rapetissĂ©e , dĂ©chue, en un mot, du rang quâelle a occupĂ© dans tous les temps en Europe. Je sais quâon viendra toujours me citer ses trente-quatre millions dâhabitants ; mais il nây a dans ce monde que des grandeurs relatives , et 307 si la France est entourĂ©e dâempires qui ont une population Ă©gale ou mĂȘme supĂ©rieure Ă la sienne, elle pĂšse Ă©videmment moins aujourdâhui, dans la balance de lâEurope , que sous Louis XIV, oĂč aucun Ătat ne pouvait lui ĂȘtre comparĂ©. La rĂ©volution de 1830 avait paru pour un moment la replacer Ă son rang naturel; mais cette rĂ©volution, on lâa bientĂŽt circonvenue, rendue inoffensive, Ă©nervĂ©e, Ă lâaide de notes diplomatiques et de protocoles , et, en dĂ©finitive, on nâa rien fait pour soulager la France du poids de ses humiliations. Je vous citerai Huningue, entre autres exemples Lorsque, en 1680, Louis XIV bĂątit la forteresse dâHuningue, la Suisse sây opposa, et fit notifier cette opposition au cabinet de Versailles. Vous figurez-vous les petits Etats de la Suisse voulant empĂȘcher le fier Louis XIV, ou mĂȘme son ministre Louvois, tous deux dans la force de lâĂąge , de faire en France ce quâils jugeraient convenable pour la dĂ©fense du pays ? Quand cette prĂ©tention arriva Ă Versailles , elle dut exciter parmi les courtisans un rire vĂ©ritablement homĂ©rique. Aussi elle eut le sort quâelle devait avoir on nây fit aucune attention. On la 508 regarda comme le rĂȘve dâesprits malades, oĂŻl passa outre, et Huningue fut fortifiĂ© avec le soin consciencieux que Louis XIV apportait Ă ces sortes de constructions. VoilĂ que tout Ă coup, cent cinquante ans aprĂšs, la mĂȘme question se reprĂ©sente. Les petits Etats sont tenaces, et toujours prĂȘts Ă se cramponner Ă leurs prĂ©tentions, parce quâils se figurent, Ă tort ou Ă raison, quâon les traite avec trop de sans-façon. La Suisse avait conservĂ© le souvenir de la mystification quâelle avait Ă©prouvĂ©e dans les salons de Versailles. Cela sâĂ©tait transmis de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration. Quand elle vit, en 1815, le lion Ă terre, elle voulut aussi lui donner son coup de pied, et elle fĂźt revivre dans les conseils de la Sainte-Alliance la ridicule prĂ©tention quâelle avait Ă©levĂ©e cent cinquante ans auparavant. Un homme ayant quelque peu de raison croirait quâon aurait rĂ©pondu Ă lâenvoyĂ© suisse porteur dâune aussi incroyable mission Bon- homme, iaissez-nous rĂ©gler les grands intĂ©rĂȘts de l'Europe , et allez garder vos vaches. » Pas du tout. On accueillit sa demande avec faveur. 309 parce quâelle contenait une grande humiliation pour la France, parce quâelle tendait Ă imposer Ă cette nation, illustre entre toutes les nations du monde , une injurieuse prohibition, unique en Europe Et Huningue fut dĂ©moli ; Et on interdit Ă la France de relever ses glorieuses ruines ; Et voilĂ trente ans quâun pareil traitĂ© subsiste ; Et depuis 1830 on ne lâa pas dĂ©chirĂ© cent fois ! En vĂ©ritĂ©, il faut que nous soyons bien patients. Jâen dirai autant des provinces rhĂ©nanes. Quand je les parcourais , jây trouvais Ă chaque pas , surtout Ă Aix-la-Chapelle, les souvenirs de lâEmpire. Est-ce Ă dire quâil faille tenter de nouveau le hasard des combats et tĂącher de revenir Ă ces temps, que jâappellerais presque fabuleux, oĂč toute lâEurope continentale courbait la tĂȘte en frĂ©missant sous notre joug? Non, sans doute. CâĂ©tait de lâivresse, du dĂ©lire. Le moindre sous- lieutenant de lâempereur NapolĂ©on se croyait pour le moins lâĂ©gal des petits souverains dâAllemagne,. et Dieu sait avec quel superbe dĂ©dain 510 tous ces imberbes, si Ă©tourdis , si imprudents, mais si braves, traitaient des ennemis quâils auraient dĂ» respecter. Effaçons tous ces souvenirs de notre mĂ©moire, et adoptons des idĂ©es plus modestes et plus justes sur les relations qui doivent exister entre des Etats indĂ©pendants. Mais cet esprit de modĂ©ration et de justice dont je fais profession, ce dĂ©sir sincĂšre de la paix qui mâanime, ne peuvent mâempĂȘcher de voir que la France nâa pas ses limites naturelles. Le grand Ă©difice de la France, disposĂ© par la nature en forme de carrĂ©, repose sur quatre piliers principaux, placĂ©s aux quatre angles, savoir Bayonne , Cherbourg , Mayence et Hu- ningue fortifiĂ©. Si vous ne lui rendez pas Mayence , et si les fortifications de Huningue ne sont pas rĂ©tablies, la France nâaura jamais quâune position chancelante, et il est bien temps quâelle reprenne enfin son assiette. Il est certain que les grands alliĂ©s , en 1815, se sont fait la part du lion. Ils voulaient, disaient-ils, effacer les traces de la rĂ©volution française , et remettre les choses dans le mĂȘme Ă©tat oĂč elles Ă©taient avant cette rĂ©volution ; mais alors ' ! 311 il fallait, en mĂȘme temps quâils forçaient la France Ă se restreindre dans les limites quâelle avait en 1790, imposer la mĂȘme modĂ©ration aux autres grands Etats de lâEurope , Ă lâĂ©gard des petits Ătats. Quâest-il arrivĂ© , au contraire ? La Russie , lâAutriche, la Prusse et lâAngleterre ont profitĂ© des dĂ©pouilles de leurs voisins, se sont dĂ©mesurĂ©ment agrandies, et la France est toujours restĂ©e la mĂȘme ; et cependant tous ces gouvernements placent encore aujourdâhui la France en Ă©tat de suspicion , et ne cessent de dĂ©clamer contre son incessante ambition. Ils crient au voleur, pour dĂ©tourner, sans doute, les soupçons dâeux-mĂȘmes , et afin quâon nâaille pas regarder dans leurs poches. Eh bien ! Ă mon tour, je dirai aux puissances coalisĂ©es Vous persistez Ă vouloir maintenir la France dans le lit de Procuste ; mais prenez garde ! LâAngleterre, par lâorgane de M. Canning, sâest vantĂ©e dâavoir, comme Ăole, la facultĂ© de dĂ©chaĂźner les tempĂȘtes. CâĂ©tait une grave erreur. A la France seule appartient ce pouvoir. Que lâAngleterre menace, quâelle se lĂšve, 312 quâelle fasse la guerre il en rĂ©sultera des luttes, des combats acharnĂ©s, mais pas une rĂ©volution. Que la France , Ă son tour, sâĂ©branle , et lâEurope sera remuĂ©e encore une fois jusque dans ses fondements. Vous donc, grands Etats de lâEurope, vous savez par expĂ©rience ce que peuvent les colĂšres de la France. Beaucoup dâentre vous ne doivent leur existence quâĂ sa pitiĂ©. Presque tous vous avez reçu lâaumĂŽne de sa magnanimitĂ©. Pour- quoi ne consentiriez-vous pas Ă rĂ©viser des traitĂ©s faits ab irato, et Ă prendre pour base dâun nouveau traitĂ© la restitution Ă la France de toute cette pointe bornĂ©e au nord par le Rhin, de Bin- % gen Ă Mayence? Vous empĂȘcheriez par lĂ le retour inĂ©vitable de luttes sanglantes ; car il ne faut pas vous abuser sur les intentions de la France elle veut Mayence, elle veut que les fortifications dâHuningue soient relevĂ©es. Aujourdâhui elle dort 5 mais elle se rĂ©veillera , malgrĂ© les soins quâon apporte Ă multiplier autour dâelle les narcotiques , et alors elle obtiendra par la force ce quâil serait plus politique, plus salutaire, pour les gouvernants et les gouvernĂ©s, de lui attribuer par une concession. Ăź 'f I Ă; 313 Au reste, la rĂ©union Ă la France de Mayence et de la partie du grand-duchĂ© de Hesse-Darmstadt situĂ©e de ce cĂŽtĂ© du Rhin est si juste et tellement commandĂ©e par la force des choses, que Charles X lui-mĂȘme en avait Ă©tĂ© frappĂ©. Des documents Ă©manĂ©s du cabinet particulier de ce roi nous apprennent que, dans le but de la rĂ©union, sous le ministĂšre Martignac, des nĂ©gociations avaient Ă©tĂ© entamĂ©es et suivies activement avec la Russie, dont lâinfluence Ă©tait encore toute- puissante en Allemagne ; que tout en faisait prĂ©sager le succĂšs , quand une intrigue de cour renversa le ministĂšre Martignac et lui substitua le ministĂšre Polignac, qui ne sut pas marcher dans la voie quâon lui avait ouverte, et brouilla tout. Je finirai donc ce journal de notre voyage en empruntant aux annales de la chambre des dĂ©putĂ©s ce mot fameux Il y a quelque chose Ă faire ; Et câest de rendre Ă la France ses limites naturelles. FIN. TABLE. Avant-Propos. PREMIĂRE PARTIE. VOYAGE DE PARIS A COLOGNE. Chap. i. â DĂ©part de Paris pour Bruxelles. â ArrivĂ©e Ă Bruxelles. Chap. h. â Bruxelles, ses Monuments, ses Promenades. â Entretien sur les affaires publiques. Chap. iii. â Route de Bruxelles Ă LiĂšge. â IdĂ©e gĂ©nĂ©rale de LiĂšge. â Ses monuments. â Ses environs. Chap. iv. â Route de LiĂšge Ă Aix-la Chapelle.âVerviers. â Rencontre dâun Prussien. â Entretien avec lui. â Sympathie des peuples dâAllemagne pour la France. â Zollverein. â Projet dâalliance. 518 Chap. v. â Aix-la Chapelle. 46 Chap. vi. â Aix-la-Chapelle suite. 55 Chap. vu. â Aix-la-Chapelle suite. 60 Chap. viii. â Aix-la-Chapelle fin. 69 Chap. ix. â Cologne. 75 Chap. x. â Cologne suite et fin. 80 DEUXIĂME PARTIE. VOYAGE SUR LE RHIN, DE BONN A STRASBOURG. Chap. i. â Bonn. â Embarquement sur le Rhin. â Le Paquebot et ses Passagers. 93 Chap. ii. â KĆnigswinter. â Les Sept Monts. â Chronique sur Roland. â ChĂąteaux de Rheineck et de llam- merstein. 103 Chap. ni. â Ruines du chĂąteau du Diable. â Origine de ce nom.â Andernach.â Neinvied. â Engers. â Ehren- breitstein. â Coblentz. 114 Chap. iv. â Stolzenfels. â Lahnstein. â Boppart. â Welmich. â ChĂąteau de Rheinfels. â Saint-Goar. â DĂźner Ă bord du paquebot. 126 Chap. v. â Le Lurley. â Schomberg. â ChĂąteau des Comtes palatins. â Goutenfels.â Ăacharach.â Ruines de Slahleck. â Lorch. â Sonelk. â ChĂąteau de Vogls- berg. 136 Chap. vi. â VallĂ©e du Rhingau.âChĂąteau de Rudesheim. â BrĆmser. â La Tour des Rats. â Bingen. â Le Bin- gerloch. â Le Johannisberg. 146 319 Chap. vu. â Winke!.âIngelheim.â ChĂąteau i!e Bibrick. â ArrivĂ©e Ă Mayence. 158 Chap. vm. â Mayence.â Son Origine.âTribunal secret. â Motif de sou institution. â Ses Statuts. â Son influence.â ArrivĂ©e Ă Manheim. 163 Chap. ix. â Manheim. â Lever du Soleil. â Altrip. â Spire. â Philippsbourg. 180 Chap. x. â Germersheim. â ChĂąteau de Trifels. â Richard-CĆur-de-Lion. â La Lauter. â Fort Louis. â ArrivĂ©e Ă Strasbourg. 188 TROISIĂME PARTIE. VOYAGE DE STRASBOURG A BALE ET A BERNE. Chap. i. â Strasbourg. â DĂ©part pour BĂąle. 197 Chap. ii. â ArrivĂ©e Ă BĂąle. â Visite Ă Huningue. â Son Ă©tat actuel. â Saint-Louis. â MĆurs et habitudes des BĂąlois. 203 Chap. iii. â BĂąle suite. 214 Chap. iv. â Route de BĂąle Ă Berne. â DĂ©lĂ©mont. â Ta- vannes. â Pierre Pertuis. â Bienne. â Ile Saint- Pierre. â Aarberg. 220 Chap. v. â Berne. â Sa situation. â Ses Fontaines. â Histoire du duc de ZĆrfhgen. 228 Chap. vi. â Suite de Berne. â Tour de lâHorloge, CathĂ©drale, Plate-forme. â DĂźner Ă table dâhĂŽte. â Tir fĂ©dĂ©ral de BĂąle. 255 320 QUATRIĂME PARTIE. VOYAGE DE BERNE A LUCERNE. Chap. i. â Thun. â Unterseen. â Interlacken. â Remarques sur la race Anglo Saxonne. 247 Chap. ii. â Lac de Brientz. â Cascade du Giessbach. â Le Tanzplalz.â Meyringen. â Le Reichenbach.â Passage du Brunig. â Lungern. â VallĂ©e de Sarnen. â Alpnach. â Lac des Quatre Cantons. â ArrivĂ©e Ă Lucerne. 255 CINQUIĂME PARTIE. LUCERNE. â LE R1GI. â RETOUR A BALE. Chap. i. â Lucerne. â Ponts. â Ăglises. â CloĂźtre. â Arsenal. â Lion de Thorwaldsen. 277 Chap. ii. â Voyage au Rigi. 286 Chap. iii. â DĂ©part de Lucerne. â Lac de Sempach. â StirsĂ©e. â Aarau. â Stein. â Rbeinfelden. â Augst. â Retour Ă BĂąle. 297 305 RĂ©sumĂ©.
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DIORAMA WATERLOO » Le dernier carrĂ© 18 juin 1815 Le diorama prĂ©sente lâinstant oĂč, Ă la fin de la bataille, le GĂ©nĂ©ral CAMBRONNE lance son fameux mot » en rĂ©ponse Ă la sommation de se rendre formulĂ©e par le gĂ©nĂ©ral Anglais COLVILLE. CAMBRONNE commande un carrĂ© composĂ© du 2Ăšme bataillon du 1er rĂ©giment de chasseurs. Il aurait dâabord rĂ©pondu » la garde meurt mais ne se rend pas », puis Ă bout de patience aprĂšs deux autres sommations, il aurait criĂ© merde ». CAMBRONNE nia toute sa vie avoir prononcĂ© ce mot qui devait le rendre cĂ©lĂšbre. Ce carrĂ© sera anĂ©anti par les salves de fusils et par les canons des Anglais. CAMRONNE laissĂ© pour mort, victime de plusieurs blessures au visage, au bras doit Ă la main droite et plusieurs plaies aux jambes, sera cependant sauvĂ© est emmenĂ© en Angleterre, oĂč il Ă©pousera lâinfirmiĂšre Anglaise qui le soigna. DĂ©tails Mis Ă jour 24 mai 2019 RosiĂšre 2022 par le CMBJQuand 04/09/2022 0900 - 04/09/2022 1800 Etang de RosiĂšre
i6JuN6Y. 46gjamlyzn.pages.dev/53046gjamlyzn.pages.dev/45546gjamlyzn.pages.dev/15246gjamlyzn.pages.dev/63946gjamlyzn.pages.dev/77146gjamlyzn.pages.dev/1546gjamlyzn.pages.dev/38246gjamlyzn.pages.dev/71646gjamlyzn.pages.dev/68846gjamlyzn.pages.dev/28646gjamlyzn.pages.dev/78646gjamlyzn.pages.dev/79446gjamlyzn.pages.dev/98846gjamlyzn.pages.dev/78946gjamlyzn.pages.dev/365
il aurait prononcé son fameux mot à waterloo